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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Le 21 décembre 2005, le Sénat rejette deux amendements à la loi du 23 février

À l'occasion du débat sur le projet de loi sur la recherche, le Sénat a examiné, le 21 décembre 2005, deux amendements identiques présentés par les groupes socialiste et communiste visant à l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005. Ces amendements ont été rejetés, malgré les protestations grandissantes en France et à l'étranger contre cet article qui prescrit aux enseignants de montrer les « aspects positifs de la colonisation ».

Amendement n° 114, présenté par M. Bel et les membres du groupe socialiste et rattachés.

Amendement n° 116, présenté par M. Fischer et les membres du groupe communiste, républicain et
citoyen.

Avant l’article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 4 de la loi n° 2005-258 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés est abrogé.

M. BEL. (Ariège, président du groupe socialiste) – Tout au long de ces débats, on a insisté sur l’importance des travaux des enseignants, chercheurs, ainsi d’ailleurs que sur leur nécessaire indépendance. Il s’agit là d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République et par le Conseil constitutionnel dans une décision du 20 janvier 1984. L’amendement que j’ai l’honneur de présenter a pour objectif de demander l’application de ce principe et il nous paraît de ce fait totalement adapté à cette loi de programme pour la recherche.

Vous le savez, le 23 février dernier, était promulguée une loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Mon groupe s’est prononcé, à l’issue de nos travaux, contre ce texte. Je veux m’exprimer solennellement en ma qualité de président du groupe socialiste, pour dire notre opposition entière à l’article 4 de cette loi et confirmer que nous ne nous reconnaissons dans aucun autres propos qui auraient pu être tenus sur le sujet. Cet article institue en effet une obligation aux programmes scolaires de reconnaître « en particulier le rôle positif de la présence française d’outre-mer notamment en Afrique du Nord ».

N’oublions pas que cela figure dans une loi censée apaiser les douloureuses séquelles de la guerre d’Algérie.

Devant l’émoi mais aussi la mobilisation provoqués par cette disposition malencontreuse, on a vu de très nombreuses personnalités, jusqu’aux plus hautes autorités de la République, émettre le souhait qu’on revienne dessus.

En effet, l’insertion dans la loi d’une telle injonction a été interprétée comme la volonté d’écrire une « Histoire officielle ». Une telle démarche s’inscrit en totale contradiction avec les exigences de neutralité et de laïcité qui s’imposent à notre République et à son service public d’enseignement, lequel bénéficie de l’autonomie pédagogique reconnue dans le Code de l’éducation, tant par l’article L. 711-1 pour l’enseignement supérieur que par l’article L. 311-2 pour les établissements d’enseignement (écoles, collèges, lycées).

Nous regrettons cette intrusion du pouvoir politique qui tente d’imposer un sens à donner à des événements historiques. Cette interprétation partisane de la législation constitue un déni d’Histoire. Nous souhaitons que les recherches sur la période concernée puissent se poursuivre dans la sérénité et de manière scientifique et objective. Cet article a, je l’ai dit, provoqué un tollé légitime.

Il importe de rétablir la sérénité. Tel est l’objectif poursuivi par cet amendement, qui reprend de nombreuses initiatives du groupe socialiste.

Dès le 27 juin, mes collègues Michel et Khiari demandaient, dans un article de presse, l’abrogation de cet article et dès le 4 juillet, j’ai saisi le Premier ministre et notre groupe a déposé une proposition de loi allant dans ce sens. Je regrette, incidemment, que ma demande, réitérée, d’inscrire cette initiative à l’ordre du jour d’une séance mensuelle réservée à l’initiative parlementaire ait été rejetée à deux reprises.

Je regrette également que la majorité n’ait pas saisi l’occasion donnée par les députés socialistes, le 29 novembre dernier, de réparer cette erreur parlementaire. Cette persévérance dans l’erreur manifeste, ce refus d’autocritique sont devenus une faute.

À l’Assemblée nationale, on a entendu des caricatures confirmant, au mépris d’une sensibilité forte d’une partie de nos compatriotes, des prises de position qui nous mettent en difficulté dans notre volonté de rapprochement avec des pays comme l’Algérie, des invectives qui stigmatisaient certains membres du gouvernement en fonction de leur origine. Mais c’est surtout aux Antilles que cet entêtement a le plus choqué, à tel point que le numéro 2 du gouvernement a dû annuler un déplacement. Mes collègues Lise, Serge Larcher et Gillot m’ont ainsi demandé de réitérer cette demande d’abrogation de l’article 4. Comment en effet construire une identité sur ce déni de mémoire ? Comment ne pas comprendre que cet article blesse ceux qui, de nationalité française depuis des générations, mais descendants d’esclaves ou de peuples colonisés, se sentent trop souvent ostracisés, discriminés, ghettoïsés.

L’intervention du Parlement dans le champ de la mémoire n’est légitime qu’à la condition qu’il existe un consensus national. La loi doit construire une mémoire partagée. La communauté nationale ne peut se retrouver divisée autour de sa propre histoire. La loi n’a pas non plus vocation à trancher les rapports entre l’Histoire et la mémoire. Les lois mémorielles, qui apaisent les mémoires blessées, ne peuvent conduire à écrire une Histoire officielle. La limite, si elle est parfois difficile à saisir, à manifestement été dépassée.

Dans un souci d’apaisement tant des anciennes populations autrefois colonisées – que de la communauté scientifique – nous souhaitons
aujourd’hui que le Sénat accède à notre demande de supprimer l’article 4 de la loi du 23 février 2005.

Le Sénat confirmerait ainsi qu’il est, comme il se présente souvent, la sagesse de la République.

Cette abrogation apporterait la démonstration de la volonté du Parlement de réfléchir avec sérénité à son rôle dans le domaine de la mémoire et
de l’Histoire. (Applaudissements à gauche.)

M. FISCHER. ( Rhône, PC) – M’étant largement exprimé sur le contexte dans lequel fut élaboré cet article 4 de la loi portant reconnaissance de la nation en faveur des Français rapatriés, je m’attacherai aujourd’hui
exclusivement aux conséquences qui font que je réclame l’abrogation de l’article qui dispose que «… les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif » de la colonisation.

Je crois qu’il est urgent ici de clarifier le rôle respectif bien compris des politiques et des historiens. En tant que parlementaire, je pense avoir légitimement milité et voté en faveur de la reconnaissance du génocide arménien et de la reconnaissance de l’état de guerre en Algérie. Cela ne m’empêche pas de reconnaître, avec de nombreux historiens, qu’il n’appartient pas aux politiques d’écrire ou de réécrire l’histoire.

Celle-ci est trop complexe, comme l’écrivaient récemment messieurs Claude Liauzu et Gilbert Meynier, professeurs émérites, pour être jugée en termes d’aspects positifs et/ou négatifs. C’est ainsi que les accords de Nouméa mentionnaient à la fois des « lumières » et des « zones d’ombre ».

Dans les deux textes dont je viens de parler, nous avons aidé à qualifier, à clarifier des faits.

Nous n’avons pas interprété. Il en va de même pour la « loi Taubira » condamnant l’esclavage comme crime contre l’humanité et la « loi Gayssot » qui a pour but de lutter contre le négationnisme de la Shoah.

Je ne puis souscrire à ce qu’écrit Mme Chandernagor dans Le Monde du 17 décembre. Je ne crois pas que le Parlement ait « ouvert la boîte de Pandore » en votant des « lois mémorielles » sacralisant le malheur de chaque fraction de la population. Je crois sincèrement, en revanche, que l’historien, pour mener à bien sa mission, a parfois besoin de l’apport du politique lorsque celui-ci légifère sur des valeurs républicaines. Et je demeure cependant très modeste. Nous sommes là sur une ligne de crête délicate.

Peut-être m’arrivera-t-il un jour de me demander si je dois légiférer ou non. J’en accepte l’augure.

En attendant, je réclame l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 pour les raisons suivantes : il impose une Histoire officielle, ce qui est contraire à la mission des chercheurs et des enseignants ; il impose un « positif » et un « négatif » qui n’existe pas en Histoire ; il est de nature à provoquer des réactions de violence dans les départements et territoires d’outre-mer où le souvenir de l’esclavage, qui fait partie du passé colonial, demeure vivace car non encore assumé, y compris au sein des jeunes générations ; enfin, il
encourage tous ceux qui cherchent aujourd’hui à réactiver les réflexes nationalistes, communautaristes, au détriment de la place que les jeunes générations issues de l’immigration récente sont en droit de se constituer.

Il ne s’agit aujourd’hui ni de sublimer certains aspects du passé, ni de favoriser des antagonismes, mais bien de laisser aux historiens leur espace de recherche et d’enseignement qui rende compte de la complexité des phénomènes. C’est pourquoi je vous invite à adopter cet amendement.
(Applaudissements à gauche.)

M. DE ROHAN. (Morbihan, président du groupe UMP) – J’ai bien écouté les deux orateurs. Nous faisons nôtre la constatation des motifs de M. Bel, lorsqu’il affirme qu’il importe de laisser le débat sur l’Histoire de la présence française outre-mer se poursuive afin de permettre aux universités et aux historiens de dégager progressivement, à travers les documents et les témoignages, les éléments de fait qui permettent d’établir la vérité historique. Nous y sommes invités par un grand nombre d’historiens, qui ont écrit aux présidents des différents groupes parlementaires. Il est question de l’abrogation de l’article 4 de la loi portant reconnaissance de la nation en faveur des Français rapatriés, mais il pourrait en être de même de la loi Taubira, qui reconnaît la traite et l’esclavage comme un crime contre l’humanité, de la loi Gayssot, qui sanctionne l’expression du négationnisme, ou de la loi reconnaissant le génocide arménien. Ces lois mémorielles ont souvent été votées à l’unanimité…

Si je pense comme M. Bel qu’il ne faut pas laisser à la loi le soin de qualifier des faits historiques, j’estime de la même manière qu’on ne doit pas instrumentaliser l’Histoire en la mettant au service de conceptions partisanes.

Je conviens que la rédaction de l’article 4 est sans doute maladroite, mais de là à prétendre qu’il « conduit à passer sous silence les horreurs de l’époque coloniale ». C’est cette présentation que M. Fischer estime primordiale pour l’élaboration future des programmes de recherche historique !

Nous sommes loin de l’analyse de M. Bel puisque le Parti communiste veut imposer le politiquement correct dans l’enseignement. Nous récusons cette manière de voir, aussi soutenons-nous la proposition faite par le Président de la République de confier une mission à des parlementaires et des universitaires. Les événements intervenus après le vote de la loi Gayssot et de la loi sur le génocide arménien nous conduisent à réfléchir sur l’action à engager, dans le respect de la sensibilité de chacun. Dans un climat aussi passionnel, nous devons nous garder de prendre des décisions hâtives. La mission rendra son rapport dans trois mois.

Si nous abrogeons l’article 4, c’est l’hommage que nous avons voulu rendre aux rapatriés d’Algérie qui tombe.

M. BEL. – Mais non !

M. DE ROHAN. – Nos compatriotes harkis, qui ont souffert
dans leur chair, seront heurtés dans leur sensibilité comme l’ont été les rapatriés qui ont vécu des événements douloureux, comme l’ont été nos compatriotes antillais.

Nous ne devons pas légiférer sous l’effet de l’émotion. Donnons le temps à cette mission de faire des propositions. Personne, à l’avenir, ne doit être affecté par des textes législatifs. Cessons de voter des lois mémorielles, qui sont un dévoiement de la loi, quels que soient les bons sentiments qui les inspirent. Car on peut faire de la mauvaise politique avec de bons sentiments ! (Applaudissements à droite.)

M. VALADE, président de la commission. (Gironde, UMP) – La commission spéciale a particulièrement étudié ces deux amendements : ils sont sans rapport avec l’objet du présent texte, qui ne traite pas du contenu des programmes de recherche, et a fortiori des programmes scolaires. L’article 4 a suscité de telles réactions que le Président de la République a dû intervenir le 9 décembre dernier pour confirmer qu’il ne s’agissait en rien d’imposer une Histoire officielle, et qu’il appartient aux historiens d’écrire l’Histoire.

La mission que nous avons évoquée est chargée d’évaluer l’action du Parlement dans le domaine de la mémoire et de l’Histoire. Cette réflexion associera notamment des historiens. Il convient d’attendre ses conclusions, d’ici trois mois.

La commission spéciale juge donc inopportun de proposer, au détour du présent projet de loi, de revenir sur cet article dont la portée dépasse largement l’objet de ce texte.

M. GOULARD, ministre délégué. – S’il y a une vérité qui peut nous rassembler, c’est que l’Histoire – exprimée dans les travaux de recherche et écrite dans les manuels scolaires – est l’œuvre des historiens, et non des pouvoirs publics. Nous comprenons l’émotion de certains de nos compatriotes, qui est profondément respectable, comme a pu l’être, dans d’autres circonstances, celle de nos compatriotes rapatriés.

Le Président de la République s’est adressé aux Français et a proposé la création d’une commission pluraliste dont la présidence a été confiée au
Président de l’Assemblée nationale. Les délais qui lui ont été impartis pour rendre ses conclusions sont brefs. Ses travaux permettront de gagner en sérénité et d’éviter des réactions intempestives. La sagesse veut que nous attendions que la commission achève ses travaux : mais quand nous aurons connaissance de ses recommandations, nous devrons prendre le temps d’examiner attentivement les dispositions qui seront éventuellement adoptées. Voilà pourquoi, comme le rapporteur, je vous invite à repousser l’adoption de ces amendements.

M. MARSIN. (Guadeloupe, RDSE) – Pourquoi faut-il abroger, sans attendre, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 ? Parce qu’il est aussi inutile et maladroit, qu’inopportun et perturbateur.

Inutile, car ses dispositions ne peuvent s’imposer pour définir les programmes scolaires, particulièrement en ce qui concerne l’enseignement de l’Histoire.

Maladroit, car la période de la colonisation couvrant celle de la traite négrière et de l’esclavage, il ouvre la voie à l’amalgame et à une reconnaissance éventuelle du « rôle positif de l’esclavage ».

Inopportun, car il intervient au moment où la communauté nationale évolue dans le sens d’une lecture plus apaisée de notre Histoire, en particulier dans sa dimension ultramarine. En érigeant le 27 mai en jour férié en Guadeloupe, la France a reconnu la lutte héroïque de Louis Delgrès, de Joseph Ignace, de la Mûlatresse Solitude, contre le retour de l’esclavage, rétabli par Napoléon, après une première abolition par la Convention. D’aucuns pensent que leur démarche était dans la logique des idéaux humanistes de la Révolution.

Enfin, cet article est profondément perturbateur, en France métropolitaine, et plus encore dans les régions d’outre-mer où il apparaît comme une véritable provocation.

Pourquoi faut-il abroger, sans attendre, cet article 4 de la loi du 23 février 2005, alors que le Président de la République a missionné le Président de l’Assemblée nationale « pour évaluer l’action du Parlement dans les domaines de la mémoire et de l’Histoire » ?

Sur la forme, on sait que souvent le recours aux commissions d’études, sert à ne pas décider.

Sur le fond, la mission confiée au Président de l’Assemblée nationale est plus globale. Elle a trait à l’action du Parlement. L’objet de l’amendement en discussion est autre, et tous les éléments sont réunis pour revenir à la situation antérieure au 23 février 2005. Si l’on peut comprendre la position du gouvernement qui hésite à déjuger sa majorité, qui pourrait sérieusement soutenir que cet article manquait à l’arsenal législatif français ?

Il n’y aurait aucun dommage à le faire disparaître, et à revenir au statu quo ante bellum, c’est-à-dire à l’état de fait et de droit tel qu’il existait avant les « hostilités ».

Cet article peut être supprimé par un amendement. Nous sommes bien dans une thématique adjacente : il est justifié que le présent amendement soit
introduit à l’occasion de l’examen du projet de loi programme sur la recherche, qui couvre la recherche de la vérité historique.

Le feu est parti de l’Assemblée nationale et caresse désormais l’ensemble du Parlement et de la communauté nationale. Le Président de la République, avec la mission confiée au Président Debré, a installé un « couvre-feu ». Il revient à notre Haute Assemblée, constante dans sa sagesse, d’éteindre définitivement ce feu qui ne s’est que trop propagé.

En dépit de la distance géographique qui sépare notre Haute Assemblée de chacun des départements et des territoires français de par-delà les océans, les populations attendent et elles espèrent.

Leur attachement à la France est profond et n’a d’égal que les souffrances endurées, tant par l’esclavage et la colonisation, que pour défendre la patrie, notamment au cours des deux Guerres mondiales. Elles espèrent que notre pays ne persistera pas à répondre par des procédures dilatoires, des atermoiements, et encore moins par un entêtement qui pourrait être interprété comme de l’indifférence, voire du mépris. (Applaudissements à gauche.)

M. LEGENDRE. (Nord, UMP) – Je voterai contre ces amendements qui n’ont, à l’évidence, rien à voir avec le texte examiné. En tant qu’historien et professeur d’Histoire, ce débat m’interpelle tout particulièrement. J’ai toujours pensé que nous avions tort de prendre au Parlement des positions sur des questions de mémoire. C’est ce qui m’a amené à ne pas prendre part au vote sur le génocide arménien alors que je suis convaincu que les Arméniens ont été, en 1915, victimes d’horreurs. Je fais d’ailleurs partie du groupe d’amitié France-Arménie. Nos sympathies ne doivent pas nous faire inscrire dans la loi nos jugements, voire nos passions.

Aujourd’hui nous payons d’avoir voulu répondre à l’émotion par des lois. Celle qu’a votée l’Assemblée nationale paraît enjoindre aux enseignants de donner une version de l’Histoire. Que doivent faire les enseignants ? Si j’avais à enseigner à nouveau l’Histoire, en parlant des colonies, je considérerais de mon devoir de dire à mes élèves ce que je sais, y compris les erreurs et les horreurs qui ont pu être commises. Je sais, par exemple, qu’en 1900 deux vallées du Niger ont souffert des exactions de la troupe, conduite par deux officiers dévoyés ; mais je sais aussi que c’est une partie de cette troupe qui arrêta Rabah, le dernier des grands négriers, à Kousseri, et que cela mit fin au trafic d’esclaves en Afrique centrale !

Je n’aurais pas honte à parler du Code noir ni de l’horreur de l’esclavage, les élèves doivent les connaître, et savoir aussi que ces pratiques, au xviiie siècle, ne choquaient pas une partie de la France des Lumières, dont nous sommes pourtant héritiers ! Victor Schoelcher, par exemple, a mis fin à l’esclavage, mais il fut aussi sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies : ambiguïté de son époque !

Le devoir des enseignants, c’est de transmettre aux jeunes générations le récit des faits tels qu’ils se sont déroulés, dans leur totalité et sans céder à l’émotion, ni à l’idéologie !

Il pourrait y avoir n’importe quel article de loi, si j’avais de nouveau à enseigner l’Histoire, je m’en tiendrais à ce devoir ! Aussi, plutôt que de nous prononcer ainsi au détour d’un texte, retrouvons-nous autour de l’essentiel, en respectant l’esprit des jeunes Français, qui doivent connaître la vérité sur notre Histoire, ses ombres et ses lumières ! (Applaudissements à droite et au centre.)

M. PELLETIER. (Aisne, RDSE) – Nous n’aurions pas dû voter cet article 4 de la loi relative aux rapatriés. Si je l’ai fait, c’est par manque d’attention, peut-être à cause du rythme trop soutenu auquel nous sommes soumis. La colonisation a apporté des bienfaits aux populations indigènes, notamment en matière d’infrastructures, d’équipements de santé, d’éducation ; mais on ne peut passer sous silence les méfaits de la colonisation. Si nous devions faire une loi sur le sujet, elle devrait présenter à la fois les bienfaits et les méfaits ; mais ce n’est pas aux politiques d’écrire l’Histoire, c’est aux historiens ! Ces amendements de suppression ne sont pas à leur place dans la loi de programme sur la recherche. C’est pourquoi, avec plusieurs de mes collègues du R.D.S.E., je ne prendrai pas part au vote. Une commission, voulue par le Président de la République, va travailler pendant trois mois sur la question, puis nous pourrons examiner la proposition de loi de nos collègues socialistes, pour débattre au fond ! (Applaudissements au centre.)

M. DOMEIZEL. (Alpes de Haute Provence, PS) – Monsieur de Rohan, si nous abrogeons l’article 4, c’est parce qu’il fait obligation aux enseignants de faire reconnaître le rôle positif de la France outre-mer !

M. DE ROHAN. – Et l’hommage aux rapatriés ?

M. DOMEIZEL. – Je vous invite à lire la loi… Sans faire acte de repentance, je regrette de n’avoir pas été assez vigilant sur cet article 4, si je n’ai pas approuvé ce texte. Je n’ai pas mesuré l’émoi que susciterait cet article, pour les historiens, sommés d’enseigner une histoire quasi officielle, comme pour les populations d’outre-mer et nos amis étrangers ! Quelques mois à peine après la promulgation de la loi, j’ai pu me rendre compte, en Algérie, de l’incompréhension soulevée par cet article. Mes amis algériens, qui sont d’excellents observateurs de la vie politique française, ne comprenaient pas cette provocation envers le peuple algérien, à la veille de la signature du traité d’amitié franco-algérien, alors que l’attachement des Algériens à la France est
manifeste, comme en témoignent les échanges économiques, la reprise de l’enseignement du français au cours élémentaire ou l’entretien des
cimetières. Ce traité devait être le prélude à de nouvelles relations franco-algéirennes, il a été suspendu, alors qu’il devait être le moteur de la coopération euro-méditerranéenne, comme l’a été le couple franco-
allemand pour la construction européenne. Cet article 4 a été une blessure, aussi, pour les Français issus de l’immigration : je doute qu’ils regardent la colonisation française comme une époque positive, je crois qu’elle leur inspire plutôt un souvenir douloureux, qu’elle ne reflète pas à leurs yeux les valeurs humanistes de la République !

Cet article n’est pas non plus un signe d’apaisement après les émeutes dans les banlieues, au moment où tous les enfants de la République doivent se sentir aimés ! Monsieur le Ministre, notre pays est pluriel, le maintien de l’article 4 ne peut qu’entretenir les rancœurs, voire les haines !

Que la colonisation ait permis des avancées en matière d’éducation, de santé, d’équipements, soit ! Mais rien ne peut justifier l’essence de la colonisation, la domination d’un peuple sur un autre, elle contredit les valeurs démocratiques et humanistes de la République ! Laissons aux historiens, aux universitaires le soin de débattre des faits, pour nous éclairer sur la vérité historique. Monsieur le ministre, vous nous avez parlé de sagesse, nous devons reconnaître nos erreurs : nous en sortirons grandis ! (Applaudissements à gauche.)

Mme BLANDIN. (Nord, PS) – Le Parlement est familier des cavaliers, et la question dont nous parlons ici mérite évidemment la juste rectification proposée par ces amendements. L’article 4 de la loi de février 2005 déroge aux conditions d’une société pacifiée et apaisée et d’abord au respect d’une mémoire collective fondée sur la diversité des parcours. Nous avons besoin de liens plutôt que de distance et de défiance, notre société est multiculturelle et il est choquant d’entendre vouloir revenir sur la loi Taubira, les verts voteront chaleureusement cet amendement de réparation ! (Applaudissements à gauche.)

Mme BORVO COHEN-SEAT. (Paris, présidente du groupe communiste) – Le propos de M. Legendre sur la responsabilité des enseignants, a renforcé mon souhait d’abroger l’article 4. (M. Legendre s’exclame.) Vous commencez par une plaidoirie pour la liberté des enseignants, puis vous acceptez que la loi donne des instructions aux enseignants !

M. DE ROHAN. (Morbihan, président du groupe UMP)- Vous aussi avec la loi Taubira.

Mme BORVO COHEN-SEAT. – Les cavaliers, tant le gouvernement que la majorité du Sénat en sont familiers… Votre refus nous empêche de rendre aux historiens leur liberté de chercher et d’enseigner. L’Histoire récente – celle du colonialisme par exemple – mérite un cadre de débat serein.

M. DE ROHAN. – Et le communisme ?

M. FISCHER. – Cette réflexion, nous l’attendions…

Mme BORVO COHEN-SEAT. – Lorsque l’on donne des instructions aux enseignants, on ne se situe plus dans le cadre de lois mémorielles. C’est une atteinte à la liberté d’enseignement célébrée par Jean Jaurès.

L’Assemblée nationale a provoqué une tempête en votant cet amendement. Mon groupe s’honore d’avoir été le seul à faire preuve de vigilance, grâce à M. Fischer qui s’est élevé contre le contenu de l’article 4.

Aujourd’hui, les parlementaires ont l’occasion de reconnaître leur erreur.

M. VALADE, président de la commission. – Rien à voir !

Mme BORVO COHEN-SEAT. – Nous n’avons que faire d’une mission, si bien nommée soit-elle, il faut rectifier l’erreur commise et ne pas renoncer à jouer notre rôle de parlementaires. (Applaudissements à gauche.)

M. DE ROHAN. – Vous mêmes ne vous repentez jamais de rien !

M. RENAR. (Nord, PC) – Il faut voter ces amendements, il y a urgence. Il me paraît dangereux d’imposer un programme scolaire officiel, s’agissant d’une histoire complexe – et douloureuse pour des peuples devenus depuis des peuples amis.

Enfant, j’ai appris l’histoire dans les manuels d’avant 1940. Je fus frappé, à la Libération de n’apercevoir que la motivation de la colonisation ne répondait pas à des considérations philantrophiques…

M. DE ROHAN. – Le communisme non plus !

M. RENAR. – Éduquer et évangéliser les sauvages. Ou étendre la puissance économique et militaire de la France ? Jeune militant je me suis voué à l’union des peuples qui voulaient leur indépendance. Selon la formule d’une historienne, « l’édifice colonial s’était bâti sur l’idée que les colonisés ne sont pas capables de transformer un territoire en pays ».

En Martinique, à cause de l’article 4 on parle de « loi de la honte ». Et comment ignorer le sentiment d’exclusion qui sera ressenti par tous ceux dont les parents ou les grands-parents ont souffert de la colonisation ? M. Legendre a parlé comme enseignant.

Nos relations avec maints pays risquent de se dégrader considérablement si la France persiste dans cette réhabilitation de son Histoire coloniale. Benjamin Stora l’a bien dit, le vote de 2005 brise le consensus des années soixante et tourne le dos à la politique du général de Gaulle.

M. DE ROHAN. – Vous êtes bien placé pour en parler.

M. RENAR. – J’avais une certaine idée de la France, que j’ai conservée.

M. Stora estime que privilégier une mémoire contre une autre, ce serait s’engager dans une guerre mémorielle qui peut conduire aux pires débordements.

Il faut donc adopter ces amendements, dès ce soir. (Applaudissements sur les bancs C.R.C.)

Les amendements n° 114 et 116 sont mis aux voix par scrutin public à la demande des groupes C.R.C et U.M.P.

M. LE PRÉSIDENT. – Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants : 300

Suffrages exprimés : 300

Majorité absolue : 151

Pour : 135

Contre : 165

Le Sénat n’a pas adopté.

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