Charles-Henri Favrod : « Le rôle positif de la colonisation ? Incongru ! »
Entretien publié sur le site internet de la télévision suisse romande, le 4 décembre 2005.
« L’Algérie, c’est la France, oui. Mais la France, c’est nous. » Cette sentence sans appel, prononcée par un colon et citée par Charles-Henri Favrod dans Le temps des colonies, résume à elle seule l’esprit qui prévalait encore en Europe au milieu du XXe siècle. Le livre, lui, entend brosser le tableau d’une époque, d’une coterie, d’une façon de voir le monde.
- Swissinfo : Votre livre débute sur une photo d’un marché aux esclaves. Peut-on qualifier Le temps des colonies de pamphlet anticolonialiste ?
Charles-Henri Favrod : Je ne fais pas le procès de la colonisation. Mais comment ne pas rappeler ses méfaits par respect pour l’histoire ? J’ai connu le travail forcé, j’ai vu des routes, des voies ferrées, qui ne répondaient qu’à des intérêts économiques, pas à ceux des populations. Elles n’étaient pas reliées entre elles !
Je ne nie pas pour autant que la colonisation ait aussi pu apporter quelques bienfaits. Beaucoup de petits colons n’avaient rien à se reprocher.
- Swissinfo : Comment interprétez-vous cette loi française, votée en 2005, revenant sur le rôle positif de la présence française, notamment en Afrique du Nord ?
C.-H. F. : La sortie du livre «Le temps des colonies» est une réaction à cette loi votée en février dernier par les députés français mettant l’accent sur le rôle positif de la France dans ses ex-colonies.
Cette loi est totalement incongrue. C’est comme si l’histoire célébrait la conquête de l’Ouest aux Etats-Unis en omettant d’évoquer le sort des malheureux indiens. Mon livre a reçu des échos favorables, en Suisse comme en France.
- Swissinfo : L’attitude française ne compromet-elle pas la signature d’un traité d’amitié franco-algérien initialement prévu fin 2005 ?
C.-H. F. : Si, et c’est dommage, parce que les Algériens ne sont absolument pas anti-français, malgré la guerre d’indépendance.
J’ai pu m’en rendre compte cette année, à l’occasion de quatre déplacements dans ce pays. Il arrive même à certains Algériens de parler de la «métropole» pour désigner la France !
Mais cette loi scandalise la population. La signature de ce traité est de toute façon compromise pour le moment.
- Swissinfo : Comment expliquez-vous que le million de Français qui vivaient en Algérie avant l’indépendance n’y soit pas restés ?
C.-H. F. : On n’a jamais fait le compte du nombre de massacres commis par l’OAS et les partisans de l’Algérie française pour la seule année 1961. Cette armée secrète s’en prenait aux femmes de ménage, aux instituteurs, aux petits cireurs de chaussures…
Je crois que sans cela, au moins la moitié des Français serait restée dans ce pays. Ahmed Ben Bella, le premier président algérien (1962-1965), que j’ai connu dès 1953 au Caire, en était persuadé. Il y avait aussi 20 000 Suisses en Algérie, ils sont tous partis.