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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

58 ans après l’enlèvement et l’assassinat de ce leader du « Tiers Monde », l’appel de l’Institut Mehdi Ben Barka –Mémoire vivante

A Paris, devant la Brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain, Mehdi Ben Barka a été enlevé le 29 octobre 1965 par des agents du pouvoir marocain avec d’importantes complicités françaises, dont celle du ministre de l’Intérieur, Roger Frey, et du préfet de police de Paris, Maurice Papon. 58 ans plus tard, un rassemblement a eu lieu pour poursuivre le combat pour la vérité et la justice, contre l’oubli. Au nom de la famille et de l’Institut Mehdi Ben Barka – mémoire vivante, Bachir Ben Barka a exigé la fin de l’impunité des responsables de ces crimes. Il a rappelé que plusieurs années après la fin des travaux au Maroc de l’Instance Equité et Réconciliation (IER), ses recommandations concernant la disparition forcée ne sont toujours pas mises en œuvre. Les raisons d’état marocaine et française continuent d’empêcher la justice de mener à bien sa tâche. Et, année après année, se poursuit au Maroc une grave dégradation de l’état général des droits de l’Homme et des libertés.

INTERVENTION DE LA FAMILLE DE MEHDI BEN BARKA AU RASSEMBLEMENT DU 29 OCTOBRE 2023 A PARIS

En présence de représentants de la LDH, du MRAP, du SNES-FSU et des associations marocaines démocratiques en France

Paris le 29 octobre 2023.

Cher(ère)s ami(e)s,

Au nom du SNES-FSU et de l’Institut Mehdi Ben Barka – mémoire vivante, je suis très heureux de vous retrouver comme chaque année en ce lieu de mémoire et de ressourcement où nous nous donnons rendez-vous année après année pour poursuivre le combat pour la vérité et la justice, contre l’oubli et l’impunité.

En cette « journée du disparu », un rassemblement similaire au notre se tient en ce moment à Rabat à l’appel de la coordination marocaine des associations de Droits Humains, avec le mot d’ordre suivant : « Pour la vérité et contre l’impunité ». Ce matin, à l’initiative du conseil municipal, un dépôt de gerbes a eu lieu à Gennevilliers devant la stèle commémorative située dans l’Allée Mehdi Ben Barka.

Je vous rappelle que le choix de cette date a été fait en hommage à Mehdi Ben Barka, le plus emblématique des disparus, pour commémorer son enlèvement et son assassinat à Paris en 1965 et pour y associer l’enlèvement à Tunis de Houcine El Manouzi en 1972.

Depuis le 29 octobre 1965, les différentes commémorations qui se sont tenues en France, au Maroc et ailleurs ont toujours été un vecteur de dénonciation de la disparition forcée au Maroc, des enlèvements, des détentions arbitraires, des procès inéquitables et ont servi de point d’appui pour soutenir le combat des victimes de ces violations des droits humains et de leurs familles et exiger la fin de l’impunité des responsables de ces crimes.

Cette année, notre rassemblement revêt un caractère particulier du fait du séisme dramatique qui s’est déroulés dans notre pays il y a près de deux mois et de la terrible guerre que subit en ce moment le peuple palestinien à Gaza.

La catastrophe d’origine naturelle qui a touché la province d’El Haouz a fait près de 3000 victimes, plusieurs milliers de blessés et a détruit des centaines, voire quelques milliers de douars. Ce drame humain a été ressenti douloureusement par le peuple marocain qui s’est spontanément mobilisé dans un immense élan de solidarité pour apporter aide matérielle, sanitaire, alimentaire et morale à nos compatriotes victimes de la catastrophe. Cette catastrophe a été le révélateur de l’extrême pauvreté des habitants de la région touchée, de leur précarité et de leur abandon par l’état pour tout ce qui concerne les infrastructures sociales, éducatives, médicales et routières.

Beaucoup reste à faire pour la reconstruction et la solidarité doit se poursuivre encore plus fort maintenant que l’hiver est là. Mais le peuple marocain a démontré qu’il était capable de relever beaucoup de défis, à condition qu’on lui en donne les moyens politiques et démocratiques.

Une tragédie humaine d’une immense ampleur est en cours en Palestine occupée, à Gaza en particulier. L’horreur de ce qui s’apparente à une volonté génocidaire qu’endurent en ce moment les Palestiniens de Gaza, avec la bénédiction des puissances occidentales est une abomination. Parce qu’il faut refuser et dénoncer tout crime de guerre commis contre des populations civiles, on ne peut que condamner avec la plus grande rigueur le mutisme et l’aveuglement de ces mêmes puissances occidentales devant les massacres en train de se perpétrer à Gaza. Des milliers de morts, beaucoup d’enfants et des centaines de milliers de déplacés. Des quartiers entiers de la Bande de Gaza ont été rasés, des écoles, des universités, des hôpitaux détruits, un blocus sanitaire et alimentaire total imposé. Ce n’est pas l’aide qui commence à arriver au compte-goutte qui est capable de répondre aux besoins vitaux de la population. Nous sommes en présence de la volonté délibérée de la part du gouvernement d’extrême-droite israélien de se débarrasser physiquement de la population palestinienne de Gaza, de détruire la ville sous les bombardements, de provoquer une nouvelle Nakba.

Ce qui se passe aujourd’hui n’est que le prolongement de ce que le peuple palestinien a vécu quotidiennement depuis 75 ans de colonisation : ciblé, tué, arrêté, ses maisons et ses terres confisquées, ses lieux de cultes violés. Depuis des dizaines d’années la communauté internationale ne s’est pas donné les moyens d’imposer l’application du droit international à Israël, laissant se perpétuer ces dénis de justice et cette situation d’apartheid.

L’urgence aujourd’hui exige que les puissances occidentales cessent de soutenir inconditionnellement et scandaleusement la politique criminelle d’Israël, pour que la communauté internationale – qui s’est clairement exprimée à l’ONU et dans les manifestations populaires partout dans le monde et même à Paris malgré leur scandaleuse interdiction – puisse imposer l’arrêt de cette guerre dévastatrice contre la population palestinienne, dans le cadre d’un cessez-le feu total, immédiat et inconditionnel.

A Rabat la semaine dernière, à Casablanca aujourd’hui et dans de nombreuses villes du Maroc, les millions de manifestants de soutien au peuple palestinien a confirmé le rejet total de la criminelle normalisation avec l’état sioniste imposée par le régime au peuple marocain. La seule conclusion qui s’impose est de les dénoncer ainsi que tous les accords qui s’en sont suivies, afin que le Maroc puisse retrouver sa souveraineté et sa dignité.

Chers amis,
Plusieurs années après la fin des travaux de l’Instance Equité et Réconciliation, ses recommandations en ce qui concerne la disparition forcée ne sont toujours pas mises en œuvre. Bien au contraire, nous assistons, année après année à la volonté manifeste du Conseil National des Droits de l’Homme de tourner la page de la disparition forcée sans répondre aux revendications légitimes des familles concernant la vérité sur le sort de leurs proches. L’Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire vivante, partie prenante de ce combat se tient résolument à leurs côtés pour dénoncer ces manœuvres et pour que l’aboutissement de notre combat commun pour le vérité et la justice puisse nous permettre enfin de faire notre deuil dans la dignité.

Plus généralement, année après année, la grave dégradation de l’état général des droits humains au Maroc se poursuit.

Les défenseurs des droits humains et leurs organisations, tant au Maroc qu’à l’international, s’inquiètent et s’indignent de la persistance de l’État marocain et de son système sécuritaire dans les violations de ses propres lois et des conventions internationales dans tout ce qui concerne les libertés publiques et individuelles, la liberté de la presse et d’opinion, le droit de manifester et de se réunir, visant plus particulièrement les défenseurs des droits humains, les journalistes, les blogueurs et tous les militants qui, d’une manière ou d’une autre, s’élèvent contre cet état des choses et portent leurs revendications pour plus de justice, plus de démocratie, plus de dignité ou, pour tout simplement l’établissement d’un état de droit.

Cette année encore, aucune avancée notoire n’est à signaler dans notre combat pour la vérité sur le sort de Mehdi Ben Barka. Les raisons d’état continuent d’empêcher la justice de mener à bien sa tâche. Raison d’état française qui abuse du secret-défense pour continuer à empêcher la consultation des dossiers des services secrets français. Raison d’état marocaine qui refuse depuis 2003 de répondre aux demandes des juges français pour entendre les agents du Cab1 impliqué dans le crime et pour mener des fouilles dans le centre de détention extra-judiciaire qu’est le PF3.
Cependant, ces obstacles à la vérité, cette organisation délibérée de l’oubli ne pourront pas venir à bout de notre résolution et notre détermination. Malgré le temps qui passe, je reste convaincu que notre combat pour la vérité, la justice et la mémoire va se poursuivre avec votre soutien qui ne faiblit pas, votre présence ici année après année en est la preuve.

Cher(ère)s ami(e)s,
Malheureusement, beaucoup de proches, d’ami(e)s et de camarades nous ont quittés durant l’année écoulée :

Bernard Ravenel : ancien militant du psu, animateur de tribune socialiste et soutien indéfectible du combat du peuple palestinien

Monique Berrada : veuve du regretté Abderrahim, elle vient de le rejoindre après une vie commune de combat pour le droit et la justice.

Pierre Audin : qui s’est longuement battu avec sa mère Josette et sa famille pour qu’enfin, l’état français reconnaisse sa responsabilité dans l’assassinat de Maurice Audin. Combat poursuivi pour toute la vérité dans le cadre du collectif SD – un enjeu démocratique Aicha El Khattabi : fille du grand combattant Mohamed ben Abdelkrim el Khattabi qui a su défendre la mémoire de son père contre toutes les récupérations politiciennes.

Gilles Perrault : Je ne reviens pas sur tout ce que son livre « notre ami le roi » a apporté à la cause des droits humains au Maroc, pour rendre à la vie les rescapés de Tazmamart, pour la libération des prisonniers politiques ; notre ami Gilles Perrault qui, à travers ses livres-phares, « le pullover rouge », « l’orchestre rouge », « un homme à part » ou « notre ami le roi », a su faire partager à ses lecteurs ses engagements pour un monde plus juste, plus humain. Les hommages qui lui ont été rendu dernièrement sont à la hauteur de son apport littéraire et citoyen.

Encore une fois merci pour votre présence.

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