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Les méthodes d’Argoud : celles d’un assassin sans scrupules

Le Canard enchaîné du 8 juin le confirme, des nostalgiques de l'Algérie française rendront un hommage public au colonel Antoine Argoud, vendredi prochain à Darney. Après une messe en l'église de Darney, ils ont prévu de sceller sur sa tombe une plaque signée par l'OAS. plaque_argoud3.gif Ce projet a provoqué de nombreuses réactions scandalisées, notamment de la part d'anciens appelés de la guerre d'Algérie. Un certain nombre d'entre eux ont écrit au maire de Darney et/ou aux responsables catholiques locaux pour protester contre une manifestation qui les choque profondément – nous reprenons ci-dessous quelques-unes de leurs lettres. Un extrait du livre écrit par Antoine Argoud en 1974, que nous reprenons également, justifie le jugement porté par l'un d'entre eux : «Les méthodes d'Antoine Argoud étaient davantage celles d'un assassin sans scrupule que d'un officier de l'Armée française».


L’OAS passe par la Lorraine avec ses sabots

Le Canard enchaîné du 8 juin 2011 (page 8)

Une petite cérémonie discrète devrait avoir lieu vendredi 10 juin au cimetière de Darney, dans les Vosges. L’hommage rendu par des nostalgiques de l’Algérie française aux mânes du colonel Antoine Argoud, ancien chef de l’OAS, mort en paix il y a six ans après avoir ordonné enlèvements, meurtres, attentats et autres actes de bravoure.

«Le renseignement est obtenu à n’importe quel prix. Les suspects sont torturés, comme les coupables, puis éliminés si nécessaire », avait-il écrit dans un livre, en 1974.

La cérémonie aura lieu sur la tombe même de l’ancien factieux. « Fleurs et drapeaux bienvenus », recommande le faire-part, mais c’est la plaque « en granit noir et lettres dorées » scellée sur la tombe qui fait grincer quelques mémoires. « Au Colonel Antoine Argoud, ses camarades de combat de l’Organisation Armée Secrète », indique sobrement l’inscription. C’est la première fois que le nom de la clique criminelle est ainsi célébré dans la pierre.

A Perpignan, Béziers, Marignane, Banyuls ou Hyères, des monuments séditieux sont sortis de terre et ont réussi à se maintenir malgré les protestations. Ils sont frappés de phrases vagues comme « Fusillés pour avoir défendu l’Algérie française », on peut y lire les noms du colonel Bastien-Thiry ou du lieutenant Degueldre, collés au poteau pour haute trahison, mais jamais l’OAS n’est citée.

L’association qui appelle au rassemblement de Darney a été créée en prison en 1965, avec la bénédiction du général Salan. Selon le restaurant qui accueille le « repas amical », seulement 44 couverts sont prévus. Pas de quoi former un bataillon ni même une compagnie, à peine une section.

Cette fois, ces soldats auront du mal à se perdre…

Sorj Chalandon


Le Canard de la semaine suivante

Janvier 1957 – Argoud prend la responsabilité du sous-secteur Arba/Rivet. Il explique sa doctrine 1 :

Au terme de longs débats intérieurs, je choisis: Je procéderai à des exécutions capitales et publiques.

Quoi que puisse prétendre une intelligentsia occidentale décadente, la peine de mort conserve au xxe siècle comme à toutes les époques, davantage encore peut-être, son pouvoir de dissuasion. Condamner des terroristes à la prison est une plaisanterie, mais une plaisanterie qui coûte cher. D’ailleurs, les lois de la guerre, communément reconnues en Occident, ne prévoient-elles pas l’exécution sans jugement des partisans en civil, pris les armes à la main? L’Algérie n’est pas en guerre, rétorqueront les casuistes. Mais ce n’est là qu’un pur alibi administratif. Je fusillerai les grands coupables. Ma justice sera donc juste. Elle répondra ainsi au premier critère d’une justice chrétienne. J’exposerai leurs cadavres comme le faisait Mustapha Kémal, non pas mû par je ne sais quel sadisme, mais pour accroître la vertu d’exemplarité. En revanche, je laisserai en liberté tous les autres délinquants. J’éviterai ainsi de remplir les centres d’hébergement, qui sont de véritables officines de la rébellion. Les exécutions capitales, dès lors qu’elles concernent des assassins, des incendiaires, des terroristes sans uniforme, ne présentent pas pour moi de problèmes sur le plan spirituel, si elles en offrent sous celui du civisme.

Mais la recherche du renseignement et la torture?

La torture a très mauvaise presse, ne serait-ce que par les odieux souvenirs de la Question sous l’Ancien Régime, de la Gestapo ou la Guépéou. Mais elle est un acte de violence au même titre que la balle du fusil, l’obus, le lance-flamme, la bombe, le napalm ou les gaz. Où commence la torture? au coup de poing? à la menace de représailles? à l’électricité? Elle se distingue des autres procédés en ceci qu’elle n’est pas anonyme. L’obus, la bombe, le gaz sont le plus souvent aveugles. La torture met, face à face, le bourreau et sa victime. Celui-là a au moins le mérite d’opérer à visage découvert.

Le général de Bollardière a passé une partie de sa vie à exterminer son prochain. Je ne lui reproche pas. J’en ai fait autant. Il ne connaîtra jamais l’identité de la plupart de ses victimes. Les aviateurs qui ont détruit Stuttgart, Hambourg, Berlin ou Dresde ne connaîtront jamais les leurs. Est-ce là pour eux un gage de supériorité morale? Certes, dans la torture la victime est désarmée, mais les habitants des villes bombardées ne le sont-ils pas?

Qu’on m’entende bien. Je ne veux en aucune manière faire l’apologie de la torture. La torture, encore une fois, est un acte de guerre, aussi abominable que la guerre, mais pas plus qu’elle. Je prétends simplement que par sa nature même elle peut devenir un acte de justice, dans la mesure où elle frappe des coupables; alors que les autres actes de guerre, sous couleur de légitime défense, ne sont souvent que des gestes de représailles collectives, aveugles et partant immoraux. Je veux ensuite dénoncer les professeurs de vertus, pharisiens ou rêveurs, dont les divagations constituent pour les nations l’invitation la plus directe à s’acheminer vers leur perte.

Finalement, deux critères fixent pour moi les limites à ne pas dépasser:

  • la violence ne sera autorisée que lorsque la culpabilité du prévenu aura été démontrée;
  • elle devra respecter l’intégrité physique et morale de la personne humaine. Les procédés utilisables seront définis d’une manière précise.

Le général de Bollardière affirme qu’il est impossible de faire respecter des limites dans ce domaine. Là encore, je suis en complet désaccord avec lui. C’est un problème d’autorité. Dans le déchaînement de violence qu’est la guerre, il y a toujours eu des armées qui obéissaient à leurs chefs et respectaient certaines règles, et des hordes qui n’en respectaient aucune.

Les restrictions que je m’impose, je le sais, tombent sous le coup des critiques de Clausewitz. Elles vont me handicaper par rapport à l’adversaire. J’espère compenser ce handicap grâce à la supériorité de mes moyens militaires.

Tel sera en bref le cadre général de mon action. Pendant plus d’un an, pendant lequel j’exercerai le commandement du sous-secteur, j’appliquerai ces méthodes. Je confierai la tâche du recueil des renseignements à des officiers particulièrement sûrs et équilibrés. Je serai le seul à prendre la décision des exécutions capitales.

Antoine Argoud


Juin 2011 – Quelques lettres adressées au maire ou au curé … 2

Monsieur le Maire

Ancien appelé en Algérie, j’ai vécu de près la période du putsch des
généraux, dont le colonel Argoud était l’un des « cerveaux ».

Si la préparation et le déroulement de ce scénario faisaient très
« amateur », l’action de ses instigateurs, par la suite, l’a été, hélas,
beaucoup moins. En particulier en ce qui concerne Antoine Argoud, dont
les méthodes étaient davantage celles d’un assassin sans scrupule que
d’un officier de l’Armée française.

Apprenant l’intention des survivants de l’OAS d’honorer la mémoire de
cet homme, dans le cimetière de votre ville, je ne peux que manifester
un malaise profond. Si vous en avez la possibilité, lisez les
témoignages écrits de cette époque, et surtout son livre, très éclairant
sur l’état d’esprit qui était le sien, et sur les moyens qu’il employait
pour arriver à ses fins. Son action lui a d’ailleurs valu d’être
condamné à mort par la justice française, puis condamné à perpétuité,
avant d’être amnistié.

Au nom de tous ceux que cet homme a plongé dans la mort et la
souffrance, je vous demande de tout faire pour empêcher la cérémonie prévue.

__________________________

Monsieur le Curé,

Je me permets de vous suggérer, dans le débat suscité par la publicité recherchée autour d’une messe célébrée pour une sorte de criminel de guerre ( peut-être en règle avec lui-même et son dieu par la confession). Afin d’éviter le scandale envers les humbles, je vous suggère donc d’inclure la personne incriminée dans le collectif anonyme  » les âmes de nos défunts ». Comme il est fait régulièrement dans les paroisses pour les services de mémoire. Tout le reste ressort des affaires des hommes et non de l’église. Paix donc à son âme mais qu’il nous laisse en paix enfin. Qu’ils nous laissent en paix puisque nous y sommes.

Et que beaucoup sont morts pour que nous y soyons.

Sauf lui.

__________________________

Monsieur l’Abbé,

Comme beaucoup d’autres anciens appelés en Algérie, qui ont connu, durant cette guerre, les dérives de l’armée et qui frémissent encore de honte au souvenir des exactions de l’OAS, ne suis-je pas en droit de poser ces questions : pense-t-on honorer Antoine Argoud, ou demander pardon pour ses crimes et pour ceux des personnes entraînés dans cette aventure de l’OAS, si clairement condamnée par la Nation ? Le célébrant et les croyants présents intercéderont-ils non seulement pour le repos de l’âme de ce guerrier perdu, mais encore pour celui de toutes les victimes de cette guerre, de quelque origine fussent elles ?

Au lieu de célébrations ostentatoires, n’est-ce pas, tout simplement, cette humble attitude de prière qui devrait animer les croyants ?

__________________________

Monsieur le Maire,

J’apprends avec stupeur qu’un hommage appuyé va être rendu à un homme qui a organisé et participé – ou fait participer des subordonnés – à des massacres.

Mon mari, CG, a  » s e r v i  » (quel terme !) en Algérie pendant cette triste période qu’on a pudiquement appelée « les évènements » . Il en a ressenti une honte et une culpabilité si grandes qu’elle ne se sont exprimées que dans les derniers jours de sa vie, il y a à peine deux ans. J’ai essayé de le déculpabiliser en lui redisant qu’il n’était nullement r e s p o n s a b l e des actes commis. Et que cette responsabilité-là revenait à des gens comme ce monsieur que j’ai même peine à nommer.

J’ignore quels intérêts (car il y a intérêts, n’est-ce-pas ? sinon, vous n’iriez pas jusque là !) vous trouvez à poser un pareil geste. Il me semble que seul le S I L E N C E était de mise. Par respect pour ceux qui ont payé de leur vie et ou de leur équilibre psychique qu’ils soient d’un côté ou de l’autre de la barrière.

Pour faire bonne mesure, vous avez trouvé judicieux d’associer l’Eglise à cette démarche. Le sabre et le goupillon font bon ménage, encore !

N’y-a-t-il donc personne qui réfléchisse dans notre beau pays ? N’avez-vous eu une mère, un père, un enfant à qui vous voudriez épargner les horreurs qui sont commises au nom de je ne sais quelle motivation ? Je suis femme et mère et je sais la valeur de la vie.

  1. Extrait de La décadence, l’imposture et la tragédie, Fayard, novembre 1974, pages 147 à 149.
  2. Nous avons reçu plus d’une vingtaine de ces lettres et nous remercions tous ceux qui ont pris la peine de nous les adresser. Il nous a malheureusement fallu faire un choix parmi ces textes dont certains nous ont profondément touché.
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