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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Le traité d’amitié entre l’Algérie et la France et le problème des harkis

La France et l'Algérie ont l'intention de signer un "traité d'amitié" en 2005. À cette occasion, réapparaissent des problèmes humains pour lesquels il serait temps de trouver des solutions - quarante deux ans après la fin de la guerre d'Algérie.

« Une avancée significative »

Entretien avec Benjamin Stora 1, publié le 14 juillet 2004, dans le quotidien algérien Le Matin.

Le Matin : L’Algérie et la France s’apprêtent à signer un protocole d’amitié ; selon vous est-ce que cela signifie que la page de la guerre de libération est définitivement tournée ?

Benjamin Stora : C’est une étape vers le règlement de ce problème, mais tant pour les Algériens que pour les Français. Les Algériens ont gagné la guerre et fêteront cette année le 50ème anniversaire de son déclenchement, alors que les Français ont perdu cette guerre. Il y a toujours ce contentieux de l’histoire.

Le Matin : Ce protocole prévoit un travail de mémoire. Mais ici en Algérie, on craint que ce travail ne se fasse que dans un seul sens, c’est-à-dire par les Algériens

Benjamin Stora : Un travail de mémoire, les deux histoires doivent être examinées en même temps, sinon cela n’aura pas de sens. Mais il faut reconnaître que aussi bien en Algérie qu’en France il y a des avancées certaines. En Algérie, où l’histoire de la guerre de libération comporte des zones d’ombre, il y a eu à mon sens des avancées significatives par la reconnaissance des personnages tels Messali Hadj et Ferhat Abbas, des universités et des aéroports portent leurs noms. Cela veut dire que l’histoire du mouvement national algérien est mieux appréhendée. En France, il y a eu la reconnaissance de la guerre d’Algérie par le Parlement. Une partie des archives sont ouvertes, des thèses ont été soutenues sur la pratique de la torture pendant la guerre. Il y a eu aussi ces terribles aveux d’Aussaresses qui a reconnu les liquidations extrajudiciaires, notamment celle de Larbi Ben M’hidi, pendant la bataille d’Alger. Subsistent cependant deux grands contentieux. Le premier concerne les exactions commises par les Français, cela pose un gros problème car il y a eu amnistie, le second se rapporte aux harkis. Les Français de leur côté ne voient ce problème que pour la période de l’après-guerre, alors que les Algériens restent fixés sur celle de la guerre. C’est là un douloureux problème.

[Propos recueillis par Samir Benmalek.]


Dossier des harkis : Les mises au point d’Alger

par Salah Eddine Belabes, le 17 juillet 2004, El Watan.

«Le travail de mémoire» auquel appellent, aujourd’hui, les autorités françaises trouve dans le dossier relatif aux harkis matière à ouvrir les portes à une grande polémique. Mais c’est surtout une tentative de mettre dans la même logique des responsabilités historiques…

Le jour où Paris reconnaîtra ses crimes de guerre en Algérie, il voudra, d’une manière plutôt insidieuse, faire admettre à Alger une reconnaissance de fait à propos «des massacres des 150 000 musulmans qui sont restés fidèles à la France». Des accusations qui sont portées par plus de 400 associations de harkis en France. Reste que pour le moment «aucun accord ni engagement» n’a été pris, selon la déclaration faite mercredi 14 juillet par le ministre algérien des affaires étrangères, sur «la facilitation par les autorités algériennes de voyage de harkis en Algérie» à laquelle a fait allusion Michel Barnier, chef de la diplomatie française, en séjour à Alger la semaine dernière. «Les harkis sont des Français qui possèdent des passeports français et sont soumis aux mêmes mesures légales imposées à tous les Français», a même précisé le ministre algérien. Une déclaration qui est venue conforter celle faite, un jour auparavant, par Mohamed Chérif Abbas, ministre des Moudjahidine. Celui-ci a refusé «catégoriquement toute éventualité d’enterrer les dépouilles» de harkis en Algérie. Ces deux mises au point rejoignent, en fait, l’intervention du président Bouteflika qui, sur France 2 en juin 2001, avait bien assimilé les harkis aux collaborateurs de Vichy. Par ailleurs, le mémorial érigé le 5 décembre 2003 à Paris (Quai Branly), à la mémoire des harkis comme celui inauguré le 11 décembre 1996 au square de la Butte au Chapeau rouge a pour but non avoué d’interpeller «l’histoire commune» aux deux pays. La France feignant d’oublier que les harkis étaient encadrés par le décret du 7 novembre 1961 portant statut des harkis. Citant le général Faivre, à partir des archives de la guerre d’Algérie, dont une partie est accessible au public depuis le 1er juillet 1992, le colonel Abdelaziz Meliani (ancien président de la mission nationale de réflexion sur les harkis et qui était à la tête des commandos de chasse durant la guerre de Libération) publiait en décembre 1994-janvier 1995 que «globalement près de 290 000 personnes ont fait le choix de rester fidèles à la France». Le décompte établissait ainsi 62 000 harkis proprement dit, 20 000 Mokhzanis (SAS), 60 000 éléments des groupes d’autodéfense, 9 000 des GMS (groupes militaires spéciaux), 3 500 des unités de réserves, 65 000 (dont 300 officiers et 3 500 sous-officiers) militaires d’actives et d’appelés. Soit un total 219 450 (un chiffre qui est arrondi à 220 000 dans son livre La France honteuse, le drame des harkis, Editions Perrin, 1993). À cela, il faudrait ajouter, selon toujours le colonel Meliani, 50 000 notables (élus de toute sortes), 10 000 fonctionnaires et de 10 à 15 000 musulmans de statut civil.

Aujourd’hui, on se pose la question de savoir si on est arrivé au stade du «temps qui finira par faire son œuvre en guérissant définitivement les blessures».

  1. Né en Algérie, à Constantine, en 1950, Benjamin Stora est professeur des universités. Enseignant l’histoire du Maghreb et de la colonisation française, il vient de signer avec Mohamed Harbi un ouvrage intitulé La guerre d’Algérie, 1954-2004 la fin de l’amnésie.
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