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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Le Premier novembre 1954 : le succès d’un projet insurrectionnel anticolonial, par Mohammed Harbi

"Le FLN : mirage et réalité" de Mohammed Harbi est réédité. Dans cet extrait, loin de toute histoire officielle, il revient sur l'insurrection du 1er novembre 1954.

Les édition Syllepse viennent de rééditer Le FLN : mirage et réalité, l’un des ouvrages majeurs de l’historien Mohammed Harbi, épuisé depuis longtemps. Mohammed Harbi, né en 1933 en Algérie, adhéra dès l’adolescence au PPA-MTLD, puis, étudiant à Paris, dès les premiers mois de l’insurrection, au FLN. Il fut membre actif de la direction de la Fédération de France du FLN jusqu’en 1962. Conseiller du président Ben Bella dans l’Algérie nouvelle, il s’opposa au coup d’État de juin 1965 et fut emprisonné par le nouveau pouvoir jusqu’en 1973, date à laquelle il s’évada et quitta l’Algérie. Il enseigna ensuite à l’Université française et publia nombre de livres d’histoire importants, Dont Le FLN : mirage et réalité (1980), où comme l’indique le titre et en s’appuyant sur des sources de première main, il fait l’histoire critique, loin de toute histoire officielle, du nationalisme algérien, de l’organisation FLN et de l’Algérie indépendante. L’ouvrage comprend utilement de nombreuses archives en annexes, une chronologie, un index et un glossaire. A l’occasion du 70eme anniversaire de l’insurrection du FLN du 1er novembre 1954, nous publions le chapitre consacré par Harbi aux conditions dans lesquelles s’est produit cet événement capital et sur son premier « succès » (1954 -1956) qui n’était nullement garanti.

Pour aller plus loin, lire aussi sur notre site Aux origines du Front de libération nationale algérien : une nouvelle édition revue et augmentée du livre de référence de Mohammed Harbi, 1962 : l’accession de l’Algérie à l’indépendance, par Mohammed Harbi, ainsi que Un document exceptionnel : les Mémoires filmés de Mohammed Harbi.


Extrait de Le FLN : mirage et réalité (pp. 173 -182)

Le succès du projet insurrectionnel (1954-1956)

Le FLN est le produit d’une scission. Ses premiers pas s’en ressentent. La préparation de l’insurrection s’effectue à la hâte. Officiellement le CRUA* a cessé d’exister le 20 juillet 1954. En fait, son acte de décès est du 25 juin, date de la réactivation de ce qui restait de l’OS*. L’action armée commence le 1er novembre. En quatre mois, il a fallu recruter, armer et organiser parmi les militants du MTLD* une force à vocation militaire. Le témoignage de Boudiaf nous livre la clé de cette précipitation : « Le temps pressait, car il fallait profiter de la confusion créée par la crise et du rideau de fumée des surenchères et des disputes pour échapper à une répression toujours possible[1]. » Il fallait aussi éviter l’extension des défections dans les rangs activistes provoquées par les centralistes, par les messalistes à Blida, à Aïn-Temouchent, à Constantine[2].

[*CRUA : Comité révolutionnaire d’unité et d’action, fondé en mars 1954 ; OS : Organisation spéciale, fondée en 1947, bras armé du MTLD, parti de Messali Hadj (NDLR).]

Outre ces raisons, il y a également des considérations politiques importantes : les déboires de la politique coloniale française commencent à s’estomper. Les perspectives de paix en Indochine, les espoirs de négociation en Tunisie et au Maroc laissent craindre une concentration de tout le potentiel militaire français en Algérie ; selon le militant de l’OS, Lakhdar Bentobbal[3] :

« La seule issue possible qui s’offrait au peuple algérien était de précipiter le déclenchement armé de la révolution sans attendre une étude minutieuse et précise à suivre, sans attendre l’élaboration complète d’un programme d’action et d’une coordination à tous les échelons. Deux solutions s’offraient au “groupe des 22” : organiser d’abord et déclencher ensuite ou déclencher d’abord et organiser ensuite […]. Nous étions obligés de choisir la deuxième solution[4]« .

La situation à la veille de l’insurrection

Les moyens financiers sont dérisoires. Les armes font défaut. Les stocks de l’OS ne sont pas suffisants. Début décembre, les questions de la représentation politique du mouvement et la définition de son programme n’ont pas encore été résolues.

Peu connus, sans rayonnement en dehors du milieu étroit des illégaux, les fondateurs du FLN s’adressent à Lamine Debaghine pour prendre leur direction. L’ouverture que lui font Boudiaf, Ben Boulaïd et Krim Belkacem reste sans résultat[5]. D’autres tentatives auprès d’Abdelhamid Mehri[6] et Larbi Demaghlatrous[7] n’ont pas plus d’effet. Il faut se résigner à aller de l’avant sans porte-drapeau connu. Les hommes qui ont fait le 1er novembre manquent de confiance en eux-mêmes. Ils sont tellement convaincus de leur infériorité politique que longtemps après leur consécration, ils hésitent à paraître sur le devant de la scène et à parler pour eux-mêmes. Alors que leur force est d’être plus sensibles que d’autres à la lassitude de l’opinion devant les querelles des partis algériens et d’avoir répondu à ses interrogations.

Sur le plan politique, la destruction de l’ordre colonial reste le but suprême. Pour y parvenir, il est fait appel « à tous les patriotes algériens de toutes les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens[8] ». L’indépendance nationale doit aboutir à :

« La restauration de l’État algérien souverain, démocratiquement social dans le cadre des principes islamiques [et] le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races ni de confessions[9]« .

Il n’est nulle part fait mention du programme de réformes et de transformations à entreprendre. La restructuration de la société se fera après les négociations avec la France et la prise du pouvoir. La contradiction entre l’offre faite aux Européens de prendre la nationalité algérienne et la nature de l’État à mettre en place en conformité avec les principes islamiques n’est pas entrevue. Ces clairs-obscurs devaient nécessairement relancer plus tard les controverses qui ont déchiré le MTLD.

En ce qui concerne l’organisation, l’Algérie est divisée en six zones : les Aurès avec Ben Boulaïd, le Constantinois avec Didouche, la Kabylie avec Krim, l’Algérois avec Bitat[10] et l’Oranais avec Ben M’hidi. Le Sahara devait être plus tard érigé en zone et confié à l’adjudant Slimane, fils du cadi de Colomb-Béchar. Connu sous le nom de Djouden, il était en fait un agent de renseignements au service de l’ennemi. C’est lui qui en mars 1955 livrera Bitat à la police.

Quant à l’instrument de lutte politique, il est désigné le 1er novembre par le sigle « Front de libération nationale » (FLN). Incarnation de la Nation, il est seul à représenter « la volonté algérienne ». Il est le parti-nation avant de devenir l’État-nation.

L’outil militaire prend le nom de l’Armée de libération nationale (ALN). Deux principes d’organisation sont retenus :

La décentralisation : compte tenu de l’étendue du territoire national, il était impossible à tout organisme centralisé de diriger la lutte, c’est pourquoi il fut décidé de laisser toute liberté d’action à chaque wilaya.

La primauté de l’intérieur sur l’extérieur. Principe juste dans son esprit dans la mesure où il signifiait que rien ne pouvait être fait sans l’accord de ceux qui se battaient sur le terrain[11].

Le schéma de l’action militaire prévoit trois étapes.

La première est celle de la mise en place du « dispositif militaire et politique de préparation et d’extension de l’insurrection ». Il s’agit de se manifester par des opérations pour prouver son existence, puis de se livrer à un travail d’explication politique, d’éviter l’affrontement avec l’ennemi, de s’attaquer aux agents de l’autorité coloniale et aux mouchards pour donner confiance aux masses.

La seconde étape consiste à généraliser l’insécurité, mener des luttes de masses et créer un contre-pouvoir. « Les masses devaient prendre en charge les tâches d’administration et de justice dans le but de couper l’autorité coloniale. Les renseignements, la logistique et le ravitaillement étaient aussi de leur ressort[12]. »

La dernière étape, enfin, vise à la constitution de zones franches « fortifiées et soustraites totalement à l’atteinte de l’ennemi. C’est dans cette dernière étape que la fusion devait se faire entre aspect militaire et aspect politique, afin de dégager les différents organes du pouvoir révolutionnaire, préfiguration de celui qui dirigerait le pays après l’indépendance[13] ».

Parallèlement à ces tâches internes, Aït Ahmed, Ben Bella et Khider doivent mettre en place, avec l’aide égyptienne, des réseaux logistiques pour ravitailler les maquis en armes et exploiter sur le terrain de la propagande et de la diplomatie le choc créé par l’insurrection. Les objectifs à atteindre sur le plan militaire devaient leur être communiqués avant la date de l’action armée fixée au 31 octobre à minuit[14]. Ce plan, séduisant dans sa limpidité, laisse de côté la question primordiale des conditions politiques et matérielles de la lutte et envisage les rapports avec les autres tendances du MTLD en termes d’épreuve de force. L’action armée n’est pas seulement une déclaration de guerre à la France, mais aussi un putsch contre la direction du MTLD. Les animateurs de l’OS escomptent entraîner tous les militants du MTLD et les soustraire à l’influence de Messali et du comité central, en attirant sur ces derniers les foudres de la répression.

Ce calcul « dépendait d’une faute éventuelle de l’adversaire : il la commit, comme nous l’escomptions, et nous en tirâmes un bénéfice immense. Nous n’ignorions pas, en effet, qu’en cas de “coup dur” le gouvernement français ne manquerait pas de dissoudre le MTLD et d’emprisonner ses responsables. Ce qu’il fit à notre indicible soulagement[15] ». Le calcul est néanmoins simpliste. Les coups reçus par les messalistes et les centralistes ne sont pas automatiquement capitalisés par le FLN. Dans leur majorité, les militants restent, pendant une longue période, fidèles aux choix qu’ils ont faits au cours de la crise du MTLD.

Le but à atteindre, l’indépendance du pays, paraît disproportionné en regard des forces dont dispose le FLN dans l’immédiat. Mais le plan d’action comporte aussi des faiblesses graves pour le développement futur de la lutte. Élaboré à partir des tâches de la guerre et sans référence explicite à ce que sera la société à construire, il privilégie les aspects techniques relatifs à l’implantation de la guérilla sur les aspects politiques, et la constitution de l’appareil militaire sur la construction d’un parti. Dans ce genre de lutte, si important que soit le recours aux armes, il doit rester subordonné au politique, c’est-à-dire au programme et à l’organisation qui l’applique. Or, quelle était cette organisation ? Le FLN ? Ce n’est encore qu’un sigle, puisque ses fondateurs se trouvent presque tous à la tête de régions militaires. Dès l’origine, le pouvoir réside dans l’ALN. Rien n’est prévu quant à la définition des rapports de celle-ci avec le FLN au cas où prendraient vie les cellules politiques dont le plan d’action prévoit la formation.

Le « Groupe des six », chefs du FLN. Photo prise chez un photographe d’Alger quelques jours avant le 1er novembre 1954. Debout, de gauche à droite : Rabah Bitat (1925- 2000), Mostefa Ben Boulaïd (1917 – 1956), Didouche Mourad (1927 -1955) et Mohamed Boudiaf (1919 – 1992). Assis : Krim Belkacem (1922 -1970) à gauche, et Larbi Ben M’hidi ( 1923 – 1957) à droite.

Tous les auteurs qui ont étudié la Révolution algérienne soulignent la filiation entre l’OS et le FLN. Mais ce fait indéniable mérite d’être nuancé. Les premiers chefs de l’OS reconnaissent la primauté indiscutable du parti sur son organisation militaire. Ils ont une claire conscience des conditions matérielles de la lutte armée. Aucun d’entre eux ne songe à la création d’une zone libérée ou à un soulèvement des populations, mais tous croient à une guerre de longue durée[16] et à la nécessité d’un commandement unifié au départ. L’expérience de l’OS n’a donc pas été entièrement assimilée par les cadres qui en ont fait partie. La crise du MTLD, plus que les leçons du passé, a déterminé leurs perspectives et, partant, l’évolution ultérieure du FLN. Un acte volontariste (la lutte armée) préside à sa naissance ; le spontanéisme domine son développement. En dépit de la soudaineté et des circonstances dans lesquelles elle est intervenue, l’explosion de violence du 1er novembre est l’aboutissement d’un long travail de préparation dans lequel le PPA-MTLD a tenu le premier rôle. Elle ne s’explique pas sans une connaissance approfondie de la période qui la précède, des années où le nationalisme issu de l’émigration ouvrière en France s’implante en Algérie et cristallise les actions.

Le FLN apparaît à un moment où le mouvement national est conscient de ses objectifs et de ses possibilités. Alors que les mouvements insurrectionnels antérieurs ont provoqué un renforcement de la mainmise impérialiste, celui de novembre 1954 fait partie d’un mouvement d’affranchissement qui secoue l’Asie, le monde arabe et commence à se manifester en Afrique du Nord. Ce contexte sans précédent dans l’histoire de l’Algérie donne au caractère vague et inachevé de l’entreprise du FLN ses chances de réussite.

Du 1er novembre 1954 à avril 1955, le FLN et le MTLD sont, par leur composition, la suite l’un de l’autre. À tous les niveaux, surtout dans l’Armée de libération, les initiateurs de la lutte armée se rendent compte que seuls sont sensibles à leur projet les militants du MTLD. Le gouvernement Mendès France ne s’y est pas trompé en interdisant le 5 novembre le MTLD. Il impute à toutes les tendances de ce mouvement la responsabilité de l’explosion de violence. De cela, un document distribué aux membres de la délégation française à l’ONU en 1956 porte témoignage :

Les dirigeants messalistes semblent avoir été surpris par les événements. Le parti n’était pas en mesure de prendre la tête d’une insurrection. Cependant, certains chefs locaux avaient eu des contacts avec le CRUA et ont participé aux attentats de la Toussaint (cela est vrai pour la région d’Aïn Temouchent). Quoi qu’il en soit, les dirigeants messalistes portent une part de responsabilité en raison de la haine xénophobe qu’ils avaient répandue et de la formation de groupes de combat qu’ils avaient commencée. Les lahouelistes partagent cette responsabilité. Ils étaient au courant des projets du CRUA qu’ils estimaient toutefois prématurés[17].

Le résultat le plus tangible de l’action armée est le changement des attitudes. Les maquis offrent à tous le moyen d’exprimer leur refus d’une société bloquée. Revendications et intérêts individuels donnent lieu désormais à une contestation globale de l’ordre colonial.

Les nouvelles conditions de lutte imposent un véritable changement tactique et stratégique. On ne risque plus sa vie pour des objectifs limités comme l’application du statut de septembre 1947. Les Algériens reprennent confiance en eux-mêmes. Leurs exigences sont plus grandes. À l’avenir, les mesures prises par l’Administration française pour satisfaire des revendications autrefois dédaignées sont perçues comme des concessions forcées ou des tentatives de freiner la marche vers l’indépendance.

Une implantation rapide

La transposition de la lutte sur le plan militaire est le fait d’une minorité, bloquée dans le MTLD, bloquée dans la société, et qui souffre avec plus d’intensité que les autres victimes du système colonial, de l’impasse politique. Le désespoir n’est pas étranger à son entreprise. Cette minorité, qui constitue un appareil dans le sens que lui donne Karl Wittfogel[18], est numériquement faible. Dans le Nord-Constantinois où le MTLD avait près de 7 000 militants, les effectifs sont dérisoires. Bentobbal les évaluait à 50 combattants[19]. Le nombre d’hommes en armes était de 350 dans les Aurès[20], 450 en Kabylie[21], 50 dans l’Algérois[22], 60 en Oranie[23]. L’armement est partout en mauvais état, sauf dans les Aurès.

Cette situation, la population la ressent d’instinct. La sympathie que l’action armée suscite n’est pas exempte d’inquiétude. Les massacres de mai 1945 à Sétif et à Guelma sont encore présents dans les mémoires. À Cassaigne, en Oranie, ce sont les paysans qui livrent les guérilleros aux gendarmes.

Peu de gens, y compris parmi les initiateurs de l’action armée, imaginent alors que le FLN va, dans un délai relativement court, trouver un appui massif dans les campagnes, soustraire les villes à l’emprise des forces politiques existantes et rallier l’UDMA, les centralistes et les oulémas sous son drapeau. C’est que le peuple n’a pas retiré immédiatement sa confiance aux partis. Et les partis, tout en se différenciant du FLN et en cherchant à tirer profit de son initiative, ne l’affrontent pas directement. Ils rusent et biaisent jusqu’au jour où l’extension de la guerre ne laisse plus de place à l’action légale.

Les niveaux de la conscience nationale diffèrent selon les positions sociales et les situations géographiques. La lutte du FLN renvoie à une tradition qui n’est pas étrangère à la paysannerie. Si la jonction avec une partie de cette classe est rapide dans le Nord-Constantinois, les Aurès, la Grande Kabylie, elle se réalise sur fond d’opposition non seulement au Mouvement national algérien (MNA) fondé par Messali Hadj en décembre 1954, mais aussi à d’autres éléments de la paysannerie regroupés derrière des notables pro-français (Bachagha Boualem dans l’Ouarsenis, Ourabah dans la vallée de la Soummam, Belhadj Djilali dans le Cheliff, Sebti dans les Aurès, etc.).

Entre le 1er novembre 1954 et l’été 1956, l’action s’est étendue à l’ensemble du territoire. Le premier foyer de lutte armée d’importance est le massif des Aurès. Le 20 août 1955, Zighoud[24]rassemble tous ses hommes (175 en tout[25]), et soulève les populations du Nord-Constantinois. Son action a cinq objectifs : intimider les colons en leur montrant qu’ils sont vulnérables, récupérer des armes, aider la zone des Aurès où la concentration des troupes ennemies est très forte, manifester à l’occasion de l’anniversaire de la déposition de Mohammed V sa solidarité avec le Maroc, obliger les autres nationalistes à se retirer de la scène[26] ou à se rallier. La Kabylie est entrée en action début 1955. Au printemps, des troupes de l’ALN de cette zone essaiment vers l’ouest, sous la direction d’Ouamrane et vers la région de Bou Saada et Djelfa, sous la direction d’Ali Mellah. En octobre 1955, l’Oranie ouvre un nouveau front de concert avec l’Armée de libération marocaine qui entame son action dans le Rif. Le succès de la grève générale du 5 juillet 1956, lancée pour tester l’audience du FLN, témoigne des progrès de son influence dans les centres urbains. Ainsi l’action passe progressivement des campagnes vers les villes. La répression, malgré sa dureté[27], est impuissante à l’enrayer.

Le caractère fruste et inachevé de l’entreprise initiale du FLN fait place à une activité révolutionnaire. Plus que les tensions internes, le combat contre l’adversaire transforme le FLN et le radicalise. De conspiration, il est devenu en deux ans un mouvement de résistance. Sa volonté d’être le seul interlocuteur de la France explique la force avec laquelle il empêche tout concurrent de s’affirmer d’une manière ou d’une autre.

La mise en œuvre de cette orientation échoit à un militant de valeur, Abbane Ramdane, qui dominera l’histoire du FLN pendant trois ans. Son adhésion date de février 1955, mais ce n’est pas un homme nouveau. Originaire d’Azouza, en Grande Kabylie, Abbane appartient à une famille modeste. Fonctionnaire de la commune mixte de Châteaudun-du-Rhumel dans le Constantinois, il adhère au PPA après 1945. Chef de la wilaya d’Annaba, il est impliqué dans l’affaire de l’OS à cause de ses relations avec l’organisation paramilitaire en 1951 et condamné à 5 ans de prison. Il se fait remarquer par un tempérament de lutteur en prison et Messali lui rendra publiquement hommage. Il n’a rien dit sous la torture. Victime de nombreuses mesures disciplinaires après une grève de la faim, une des plus longues jamais vues dans les prisons françaises, Abbane est transféré en France dans une prison près de Nancy[28].

Abane Ramdane (1920 -1957)

Quelque temps avant sa libération, il est envoyé à la prison de Maison-Carrée (El-Harrach). La guerre de libération a déjà commencé. Le directeur de l’établissement, qui connaît Abbane de réputation, ne tient pas à fournir aux détenus politiques un organisateur. Il lui accorde une remise de peine et le libère en janvier 1955. Le jeu légal, encore respecté dans certains appareils de l’État français, permet au Front de libération nationale, à l’intérieur du territoire, de trouver la tête politique qui lui fait défaut.

De 1945 à 1950, Abbane a connu tous les futurs dirigeants du FLN, Ben Bella et Mahsas, dont il a été le subordonné, Ben Khedda et Dahlab, futur ministre des affaires étrangères dont il a été le camarade de collège, Boudiaf et Ben M’hidi. Ceux qui l’ont approché au cours de cette période, gardent de lui l’image d’un homme ascétique dans sa vie personnelle, aussi exigeant à l’égard de lui-même que vis-à-vis des autres. D’une franchise brutale, tranchant dans ses jugements, il a des admirateurs et des adversaires, peu d’amis.

L’entrée en scène d’Abbane va troubler l’harmonie factice qui régnait entre les chefs historiques de l’intérieur et de l’extérieur. Ben Bella et Boudiaf voulaient faire du FLN l’organisation des anciens de l’OS. Il en fera, lui, un large rassemblement national.


[1]             . Mohammed Boudiaf, La préparation du 1er novembre, op. cit., p. 13.

[2]             . Voir la défection du groupe de Constantine, chapitre 7.

[3]             . Lakhdar Bentobbal. Militant de l’OS réfugié dans les Aurès, membre du comité des 22, membre suppléant du CNRA (1956), chef de la wilaya 2 (1956-1957), chef du département de l’intérieur et membre du Comité de coordination et d’exécution (CCE, 1958), ministre de l’intérieur (1958-1960), ministre d’État (1961-1962), PDG de la Société nationale de sidérurgie après 1965.

[4]             . Lakdar Bentobbal, « Conférence aux cadres du FLN de Tunis, 5 février 1960 », dans Les archives de la révolution algérienne, op. cit., p. 277.

[5]             . Se reporter au récit qu’en fait Mohammed Boudiaf dans son étude sur la préparation du 1er novembre (La préparation du 1er novembre, op. cit.).

[6]             . Abdelhamid Mehri. Membre du comité central du MTLD (1953-1954), représentant du FLN en Syrie (1955-1956), membre du CCE (1957-1958), ministre du GPRA (sept. 1955-août 1961), secrétaire général du ministère de l’enseignement secondaire (1965-1976), membre du comité central du FLN (1979).

[7]             . Larbi Demaghlatrous. Délégué du MTLD à l’Assemblée algérienne (1948-1952), membre de la délégation extérieure du FLN (1957-1960), secrétaire général adjoint du groupe de Casablanca (1960-1962), ambassadeur à Djakarta, puis à Belgrade.

[8]             . Déclaration du 31 octobre. Les archives de la révolution algérienne, op. cit., p. 101.

[9]             . Déclaration du 31 octobre, idem

[10]           . Initialement, Bitat avait été désigné pour la zone de Constantine. Contesté par cinq membres du

                « Groupe des 22 » , il changera de poste avec Didouche.

[11]           . Mohammed Boudiaf, La préparation du 1er novembre, op. cit., p. 13-14.

[12]           . Mohammed Boudiaf, La préparation du 1er novembre, op. cit., p. 14.

[13]           . Idem.

[14]           . La date, fixée au 15 octobre, communiquée à Yazid par Allal El-Fassi, lui-même probablement informé par la délégation extérieure, sera reportée au 31. Pour rassurer Yazid et Lahouel, rendez-vous est pris avec eux par Boudiaf au Caire. Le 1er novembre les surprendra dans la capitale égyptienne.

[15]           . Ahmed Ben Bella dans Robert Merle, Ahmed Ben Bella, op. cit., p. 96-97.

[16]           . Aït Ahmed, « Rapport au comité central élargi » (décembre 1948), op. cit.

[17]           . Dossier Algérie : cabinet du ministre résident, 1956.

[18]           . « Toute organisation qui donne à ses représentants un pouvoir sans contrôle […]. peut être considérée comme un appareil », dans Karl Wittfogel, Le despotisme oriental, Paris, Minuit, 1964, p. 107.

[19]           . Bentobbal, « Conférence aux cadres du FLN de Tunis, 5 février 1960 », dans Les archives de la révolution algérienne, op. cit., p. 277.

[20]           . Chiffre avancé par Krim.

[21]           . « Procès-verbal du Congrès de la Soummam », dans Les archives de la révolution algérienne, op. cit., p. 160.

[22]           . Idem

[23]           . Idem. Sur les 60, 50 seront tués ou arrêtés.

[24]           . Zighoud. Forgeron à Condé-Smendou et conseiller municipal de son village du Constantinois. Membre de l’OS. Arrêté en 1950. S’évade de la prison d’Annaba (1952). Membre du « Comité des 22 ». Responsable du Nord-Constantinois. Mort au combat le 24 septembre 1956.

[25]           . Chiffre fourni par Abdelaziz Khalfallah, secrétaire de la wilaya 2. Archives privées. Ce chiffre, relevé sur les registres de la wilaya, corrige celui cité par Yves Courrière qui est de 500 hommes.

[26]           . Selon Jacques Soustelle, la décision du 20 août aurait été prise en Suisse. Le docteur Hafed Ibrahim (un militant destourien installé à Madrid qui a joué un grand rôle dans la résistance algérienne et marocaine) nous a raconté avoir assisté à un entretien entre Allal El-Fassi, Boudiaf et Ben Bella. El-Fassi avait demandé une action pour le 20 août 1955. Ses interlocuteurs algériens lui auraient répondu que l’ALN n’était pas encore prête.

[27]           . Un document conservé aux archives de la ville de Skikda évalue les victimes des représailles du 20 août 1955 à 12 000.

[28]           . Abbane Ramdane sera membre du CCE (1956-1957), et assassiné au Maroc en décembre 1957.

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