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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Henri Maillot, l’Algérien

Le 5 avril 1956, La Dépêche Quotidienne, organe de la grosse colonisation, criant à la trahison, ouvre sa « Une » sur une information sensationnelle : « Dans l’après-midi d’hier, mystérieuse disparition d’un important chargement d’armes dans la forêt de Baïnem ». L’homme qui a mené l’opération est l’aspirant Henri Maillot, réserviste de la classe 28, rappelé au 57e bataillon des Tirailleurs algériens. Militant du Parti communiste algérien (PCA) clandestin, Henri Maillot tombera au champ d’honneur à l’âge de 28 ans, dans la matinée du 5 juin 1956, dans le djebel Derraga.
Dans un communiqué qu'il avait adressé aux agences et organes de presse, il avait donné la signification de son geste : « L’écrivain français Jules Roy, colonel d’aviation, écrivait il y a quelques mois : si j’étais musulman, je serais du côté des ‘‘fellagas’’. Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Le peuple algérien, longtemps bafoué, humilié, a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples…Il ne s’agit pas d’un combat racial, mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race… »

L’aspirant Henri Maiilot

par Alain Ruscio 1

Le nom d’Henri Maillot figure, avec ceux de Maurice Laban 2, de Fernand Iveton 3 et de Maurice Audin, dans le martyrologue des Algériens d’origine européenne, tous communistes, qui ont sacrifié leur vie à leur patrie.

Henri Maillot, militant du Parti communiste algérien (interdit depuis septembre 1955), appelé sous les drapeaux, puis engagé (avec l’accord secret de son Parti), avec le grade d’aspirant, décide en avril 1956 de passer, avec un camion d’armes, à l’Armée nationale de libération. Il fait parvenir une lettre à la presse, que L’Humanité publie intégralement, le 18 avril : « Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Au moment où le peuple algérien s’est levé pour libérer son sol national du joug colonialiste, ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur ». On /imagine que la presse, quasi unanime, crie à la trahison.

Au sein du PCF, allié du PCA, c’est d’abord l’embarras qui domine. Plusieurs témoignages attestent que la crainte d’une « provocation » (le mot est employé par Léon Feix, membre du Bureau politique) l’a d’abord emporté. Réflexe alors classique. La direction du PCF se débat déjà, à ce moment, dans les contradictions de son vote favorable aux pouvoirs spéciaux (12 mars 1956). Elle privilégie l’alliance avec les socialistes. Mais les informations qui lui parviennent, probablement par des canaux secrets PCA-PCF, modifient cette première réaction ».

À l’Assemblée, les députés communistes, qui se refusent à désavouer Maillot, sont invectivés.

La séance du 7 novembre 1956 restera dans les annales comme l’une des plus violentes de l’histoire parlementaire française 4. Le député communiste Arthur Ramette, qui ne manquait pas de courage, s’écrie « Vive Maillot ! ». L’orateur est alors interrompu à de multiples reprises par des invectives : « valet de Moscou… crétin de base… peau-rouge… traître… triste individu… ». Il achève néanmoins son discours : « On a crié à notre adresse : “Maillot !“. Nous, communistes, considérons que Maillot a accompli son devoir (…). Je dis que Maillot a accompli son devoir de patriote algérien en se battant aux côtés des musulmans, des Algériens luttant pour l’indépendance nationale ». L’Assemblée vote alors une exclusion de deux semaines du député communiste.

L’aspirant est condamné à mort par contumace le 22 mai par le Tribunal militaire d’Alger. Il sera pris vivant, le 5 juin, puis assassiné (et non tué lors d’un accrochage), en même temps que quatre autres compagnons d’armes : l’enseignant de Biskra, Maurice Laban, Belkacem Hamoun qui n’avait pas 20 ans, Djillali Moussaoui et Abdelkader Zalmaï.

L’Humanité reprend ici le récit des derniers moments de Maillot : c’est au cri de « Vive le Parti communiste algérien » qu’il est tombé. Lequel PCA, interdit depuis septembre 1955, contraint à une clandestinité absolue, mais toujours actif, rend hommage à son héros, un héros algérien.

  1. L’historien Alain Ruscio est notamment l’auteur de l’Humanité, censure avec Rosa Moussaoui, et de Nostalgérie
  2. Voir : 2108.
  3. Voir : 5763.
  4. Il faut dire que la tension était énorme : l’intervention soviétique en Hongrie, approuvée par le PCF, venait de se produire. On était, exactement au même moment, en pleine agression anglo-franco-israélienne contre le régime de Nasser (crise de Suez), approuvée par toutes les forces politiques françaises, sauf par les communistes.
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