Mort de l’un des dernier chefs,
condamné puis amnistié,
de l’organisation terroriste de l’OAS
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La mort de l’un des dernier chefs de l’organisation terroriste de l’OAS, Jean-Claude Pérez, qui a été condamné puis amnistié et est revenu en France en 1969, depuis l’Espagne franquiste où il s’était réfugié, est intervenue le 8 mars 2023. Son décès a été annoncé par Le Figaro sans aucune référence à son passé. C’est l’un des chefs d’une organisation criminelle qui a tué un grand nombre d’Algériens ainsi que des gendarmes, des fonctionnaires français et des Européens favorables à la recherche d’une évolution pacifique du statut de l’Algérie. Pérez fait partie de ceux qui ont été condamnés à mort pour leurs crimes, ont fui en 1962 dans l’Espagne de Franco, puis sont revenus en France après le départ du général de Gaulle. Leur retour et leur « blanchiment » sous les présidences de Georges Pompidou puis de Valéry Giscard d’Estaing a permis un déni de leurs crimes et contribué à l’essor de l’extrême droite.
Décès de Jean-Claude Pérez, dernier survivant des chefs de l’OAS
par Pierre-Marie Giraud, publié par L’Essor de la Gendarmerie nationale le 14 avril 2023.
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Le décès - le 8 mars 2023 - de Jean-Claude Pérez, haut responsable de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), une organisation clandestine opposée à l’indépendance de l’Algérie, a été annoncé très discrètement et sans aucune référence à son passé par sa famille dans le carnet du Figaro, daté du 22 mars. Selon « la volonté du défunt, ses obsèques ont eu lieu dans la plus stricte intimité », précise l’avis de décès. Il vivait à Six-Fours-les-Plages (Var).
Son décès été confirmé à L’Essor par l’historien Francis Mézières, spécialiste de la Guerre d’Algérie et auteur du livre Alger, 24 janvier 1960 (Editions d’Alésia, 2018) qui relate cette manifestation d’opposants à l’indépendance au cours de laquelle 14 gendarmes mobiles avaient été tués par balles par des partisans de l’Algérie française. Selon Francis Mézières, Jean-Claude Pérez avait été l’un des organisateurs de cette manifestation mais n’avait pas participé à la fusillade.
Né le 17 janvier 1928 à Bougie (aujourd’hui Béjaïa), Jean-Claude Pérez avait exercé la médecine dans le quartier de Bab-El-Oued à Alger et avait très vite rejoint les rangs des partisans de l’Algérie française à la fin des années 1950. Il avait mené à Alger la manifestation du 24 janvier 1960, premier jour de la « semaine des barricades » marquée par sept jours de violents affrontements entre les forces de l’ordre et les Européens d’Algérie.
Condamné à mort puis amnistié
Au procès des barricades, Jean-Claude Pérez avait été acquitté et avait rejoint l’OAS, créée en février 1961. il y était devenu le responsable de l’Organisation du renseignement et des opérations (ORO). L’un de ses adjoints était le lieutenant Roger Degueldre, chef des commandos Delta, au sein du bureau d’action opérationnel (BAO) de l’ORO. Les commandos Delta commirent des centaines d’assassinats et d’attentats à l’explosif en Algérie et en métropole, visant des opposants à la cause de l’Algérie française, des Algériens du FLN, des policiers et des gendarmes.
En juin 1962, le docteur Pérez avait été condamné à mort par contumace et s’était installé en Espagne. Revenu en France en 1969 après l’amnistie, il s’était installé à Paris où il avait ouvert un cabinet de médecin généraliste dans le XVe arrondissement. Il avait publié de nombreuses études dans lesquelles il justifiait son action pour l’Algérie française et son rôle au sein de l’OAS.
Jean-Claude Pérez mérite mieux que les quelques lignes qui lui sont consacrées dans l’article ci-dessus
par Jean-Philippe Ould Aoudia, fils de victime de l’OAS.
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Dès 1955, Pérez est un contre terroriste, terme que les historiens n’apprécient pas mais que le docteur décrit lui-même : « on ne devient pas contre-terroriste du jour au lendemain ; on ne prend pas un flingue pour aller dans la rue après ses visites à la poursuite…d’un agent qui soutient le FLN…ou d’un porteur d’armes…ou d’un agent de renseignement comme on va organiser un camp scout […]. Les noms des personnes que l’ORAF va assassiner “clandestinement” sont fournis par la police locale et les services spéciaux [1]] ».

En 1956, Pérez est membre de l’ORAF-organisation de résistance pour l’Algérie française - dont François Mitterrand, déposant le 18 mai 1962 au procès Salan, définira ainsi : « L’ORAF disons que c’était la première mouture de l’OAS. C’était un organisme de combat, le plus brut, le plus simple et, je n’hésite pas à le dire, le plus criminel à mes yeux ». Des membres de l’ORAF seront accusés d’avoir jeté une grenade défensive le 26 septembre 1956 contre la porte du domicile du délégué à l’Assemblée algérienne Boudjema Benjamin Ould Aoudia, ne provoquant que des dégâts matériels.
Arrêté le 6 février 1956 avec un comparse pour reconstitution d’un groupement non reconnu, il passe deux mois à la prison de Barberousse dans des conditions singulières décrites par Henri Alleg lorsque ce dernier s’y trouve emprisonné : « Des policiers d’Alger, ils avaient la morgue et la désinvolture fanfaronne…C’étaient des locataires de luxe, deux ultras de la bande des bazookistes de Kovacs…ces messieurs confortablement installés dans un quartier du centre de la prison, jouissent d’un régime spécial. Rasés tous les jours, frais et roses, ils ne garderont pas de Barberousse les souvenirs amers qu’en auront les patriotes algériens [2] ».
14 morts et 125 blessés par balles dans les rangs des gendarmes mobiles
Le chef d’œuvre dans la vie de ce terroriste restera l’épisode sanglant des Barricades le 24 janvier 1960 qu’il décrit longuement à TF1 : « Je vais sur les lieux, ça avait l’air mou ; alors je dis bon, je vais chercher ceux de Bab el Oued et là je trouve un bataillon d’Unités Territoriales en tenue et casque lourd […] Moi j’avais par exemple un 7,65 armé et un Herstal 9 mm de 14 coups, 13 dans le chargeur et la quatorzième dans le canon. Tout ça c’était sur moi [3]] ». La suite est hélas bien connue : 14 morts et 125 blessés par balles dans les rangs des gendarmes mobiles, certains mourront de leurs blessures mais le nombre ne sera jamais révélé. L’attirail que Pérez portait sur lui n’a probablement pas servi ?
Assigné à résidence au camp de Téfeschoun, Pérez en sort le 22 avril 1961 sur l’intervention du colonel Godard à l’occasion du putsch, pour entrer dans l’OAS après l’échec du coup de force. Le petit docteur de Bab el Oued connait une belle promotion : lui qui obéissait à la police locale anti républicaine et aux services spéciaux corrompus devient le chef de l’Organisation Renseignement Opération, aux côtés des dignitaires du terrorisme.
« Les singes sanglants qui font la loi à Alger »
Toutefois il n’est guère apprécié par Salan, le chef suprême de l’OAS, et il ne fait pas l’unanimité dans son entourage : « le mépris dont l’accablait ses collègues ou la discrétion qu’ils manifestaient à son égard m’étonna [4] ». Anne Loesch dans son livre La valise et le cercueil écrit : « Le gros Pérez, timoré, hésitant, éclatant d’orgueil, violent en paroles. Sa grossièreté dessert sa qualité de médecin : “Salut la compagnie ! Après l’orage tout va bien. Moral de fer et couilles d’airain” ».
Benjamin Stora cite les propos de Jean-Claude Pérez à TF1 : « Nous avons fait quelques opérations, effectivement. 5 000 morts, 6 000 morts peut-être. C’est horrible, mais tout est horrible dans une guerre [5] ».
Comme beaucoup de ces grands patriotes dont le courage commençait à la vue d’un passant arabe pour vite finir en apercevant un gendarme, Pérez fuit en Espagne pour échapper à la justice et attendra qu’une des nombreuses lois d’amnistie concerne les fuyards pour revenir en France. Invité par un Cercle algérianiste, Pérez confirmera que l’ORAF avait recruté le nommé Bud Abott, qui appartenait à la pègre algéroise, pour assassiner maître Boudjema Benjamin Oud Aoudia dans son étude rue de Tanger. Le tueur à gages avait finalement renoncé.
Les toujours partisans de la colonisation et de l’OAS ont la douleur d’avoir perdu l’un de ceux que Germaine Tillion avait appelés « Les singes sanglants qui font la loi à Alger [6] »
Pour de plus amples informations, voir Jean-Philippe Ould Aoudia, L’assassinat de Château royal. Alger 15 mars 1962, éd. Tirésias, 1992, pages 135-143.
[1] OAS contre de Gaulle, TF1, documentaire de Pierre Abramovici. 2 janvier 1991.
[2] Henri Alleg, Prisonniers de guerre, p. 104.
[3] OAS contre de Gaulle, TF1, documentaire de Pierre Abramovici. 2 janvier 1991.
[4] Paul Hennissart, Les combattants du crépuscule, Grasset, 1970.
[5] Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli, La Découverte, 2022, p.91.
[6] Le Monde, 18 mars 1962, p. 1.