Les pieds-noirs « nostalgériques »
Le peuplement de l’“Algérie française” s’est fait par assimilation de populations venues de toute l’Europe : des Allemands, des Suisses appelés par la puissance coloniale, des Espagnols, des Italiens s’installant sans avoir été sollicités..., tous ayant bénéficié des naturalisations, tous s’étant fortement enracinés. Si le “rapatriement” a d’abord créé une seule communauté de destin, le culte du souvenir, chez les pieds-noirs, dépasse désormais l’Algérie pour redécouvrir les origines “anté-algériennes” et la diversité d’une société qui fut multiculturelle.
par Jean-Jacques Jordi, historien, UMR-Telemme, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme
[ Hommes et Migrations, n°1236, mars-avril 2002 ]
Aujourd’hui, les pieds-noirs sont devenus « un objet légitime de travail. Le seul risque est de vouloir réécrire l’histoire telle que, eux, voudraient la voir écrite. »
Texte de Valérie Morin, publié en 2002 [1].
Un entretien avec Emmanuelle Comtat. [2]
Doctorante, Emmanuelle Comtat termine une thèse de sciences politiques sur les relations que les pieds-noirs d’Algérie et leurs enfants entretiennent avec la politique aujourd’hui. Parmi ses terrains d’étude : les Alpes-Maritimes.
Les pieds-noirs sont le produit d’une histoire entamée dans l’épisode tragique de la guerre d’Algérie, et réinventée par la suite dans l’exil.
Cet article a été publié dans le n°3 (été 2005) de la revue trimestrielle Histoire et Patrimoine, consacré à « France coloniale, deux siècles d’histoire ».
Les Français rapatriés d’Afrique du Nord, puisque tel est leur nom exact, sont un des produits de l’histoire coloniale française.
[3]
Ils étaient partis dans la panique en 1962. Le temps d’un court séjour, des pieds-noirs reviennent à Alger sur les traces de leur passé magnifié et à la recherche de remèdes à leurs déchirures.
C’est au nom de 600 rapatriés d’Algérie que l’USDIFRA (Union de défense des intérêts des Français repliés d’Algérie et d’Outre-mer), avait déposé en 2004, auprès du Comité des droits de l’homme de l’ONU, une plainte pour spoliation contre l’Etat algérien. Selon l’USDIFRA, l’Algérie doit exactement 12,1 milliards d’euros aux rapatriés français [4]. Leur avocat, Me Garay, a cité plusieurs contentieux internationaux similaires, notamment l’indemnisation par l’Allemagne d’anciens propriétaires en RDA, ou les réparations versées par Chypre à des Grecs spoliés.
Pour l’USDIFRA, cette réparation aurait assuré le « travail de repentance et de réconciliation de la France avec l’Algérie ».
Les pieds-noirs ne forment pas une communauté, ni même un groupe homogène, et plusieurs mémoires, parfois concurrentes, les caractérisent. Pourtant, il se dégage une « vision pied-noir de l’histoire franco-algérienne ». Faite de mythologies coloniales, de sophismes politiques, de justifications a posteriori, de rejets et de victimisation, cette vision est souvent leur unique point de rencontre.
Dans sa contribution au colloque de Lyon de juin 2006, Yann Scioldo-Zürcher
[*] s’est d’abord attaché à définir cette vision historique telle qu’elle existait au temps de la colonisation, et à analyser les dénis de mémoire et les refus d’histoire sur lesquels elle reposait.
Dans la dernière partie, reproduite ci-dessous, il montre comment, après l’indépendance de l’Algérie, cette vision fut réintroduite en métropole au point de redonner vie à des stéréotypes coloniaux qui ont survécu à la fin de la colonisation.
Le député Jean Leonetti raconte que, à l’occasion d’une réunion de rapatriés, une femme âgée lui a déclaré : « Nous voudrions que vous arriviez, un jour, à dire à l’Assemblée nationale que ce que nous avons fait collectivement, en Algérie, c’était bien [5]. »
On comprend cette personne qui, comme beaucoup d’autres ayant vécu ce drame, n’a pas de responsabilité individuelle dans les inégalités du système colonial ni dans les atrocités commises à l’occasion de cette guerre. Mais ceux qui aujourd’hui détiennent un mandat politique ont le devoir, sinon de dire la vérité, du moins de ne pas énoncer des contre-vérités.
En raison du rôle qu’elle a joué dans l’adoption de la loi du 23 février 2005, Michèle Tabarot porte une lourde responsabilité dans la réécriture mensongère de la période coloniale en Algérie.
Monsieur P. ayant fait appel hors délai de sa condamnation, la décision du tribunal correctionnel de Toulon, rendue le 12 novembre 2007, est devenue définitive.
la décision de justice a été publiée le 14 octobre 2008]
L’historien Alain Ruscio est un spécialiste de la colonisation française et notamment de l’histoire de l’Indochine coloniale. On trouvera sur ce site, sous l’intitulé Pour en finir avec le chantage à la repentance, un extrait de l’introduction de l’ouvrage Histoire de la colonisation : réhabilitations, falsifications et instrumentalisations qu’il a codirigé en compagnie de Sébastien Jahan.
Il est parfaitement légitime de vouloir conserver la mémoire des victimes. Mais cela ne doit pas devenir, par la sélection des victimes, un moyen insidieux de parvenir à d’autres fins.
L’un des objectifs avoués de l’association Adimad (de défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus politiques et exilés de l’Algérie française) qui rassemble d’anciens activistes de l’OAS et des nostalgiques de l’Algérie française, est d’obtenir la réhabilitation de l’organisation terroriste. Elle tente d’y parvenir par les hommages qu’elle rend à une certaine catégorie de victimes.
Elle n’est pas la seule à livrer ce combat : dans une lettre qui circule sur Internet [6], Thierry Rolando, président du Cercle algérianiste, n’hésite pas à parler de « nos amis de l’Adimad ». Mais comment alors accorder le moindre crédit à la prétention du Cercle algérianiste de représenter tous les pieds-noirs ? Et que penser du thème Réhabiliter la mémoire des pieds noirs de son prochain congrès, fin octobre 2008 à Fréjus Saint-Raphaël, au cours duquel se déroulera un colloque intitulé Quand les Français d’Algérie auront-ils enfin droit à leur lieu de mémoire ? …
En fait, comme l’écrit ci-dessous Yann Scioldo-Zürcher, la variété d’opinions est aussi grande parmi les pieds-noirs que parmi le reste de la population.
Annoncée le 26 mai 2008, à l’occasion d’un débat organisé par la Ligue des droits de l’Homme à l’auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris, l’Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA) a tenu son assemblée générale constitutive le samedi 8 novembre 2008, à Vitrolles (Bouches du Rhône).
L’assemblée a élu son président : Jacques Pradel.
L’une des premières décisions de l’ANPNPA a été de signer, avec d’autres associations, une lettre adressée le 12 novembre 2008 à Raymond Couderc, sénateur-maire de Béziers, lui demandant de faire retirer du cimetière neuf de Béziers la plaque reproduisant les noms et photos de quatre membres de l’OAS avec l’intitulé « fusillés pour avoir défendu l’Algérie française ».
L’association des “pieds noirs progressistes et de leurs amis” a tenu sa première assemblée générale le 3 octobre 2009. Une cinquantaine de ses membres se sont retrouvés à La Ciotat pour faire un bilan de l’année écoulée et évoquer des projets d’avenir.
« La démarche de l’association se fait par rapport à la mémoire pour reconstruire un contact avec l’Algérie, avec l’aide d’associations dont une qui est très active en Algérie : l’association des anciens appelés en Algérie contre la guerre » explique le président de l’ANPNPA, Jacques Pradel. « Nous œuvrons pour le rapprochement des peuples algérien et français ».
Le livre – bienvenu – d’Emmanuelle Comtat est consacré à l’étude du rapport des pieds-noirs à la politique
de 1871 à nos jours, avec la guerre d’Algérie et le retour en France comme moments-clés. Comment votait-on dans les départements français d’Algérie ? Quelles furent les conséquences de la guerre puis du rapatriement en France sur le comportement politique des pieds-noirs ? Que reste-t-il du « vote pied-noir » aujourd’hui ou de leur proximité avec le Front national ?
Quelle incidence la guerre d’Algérie continue-t-elle d’exercer sur leurs attitudes politiques ? Comment leurs enfants ont-ils réagi au traumatisme vécu par leurs parents ? ...
A la suite du sommaire, vous trouverez une présentation de l’ouvrage par Bruno Modica.
Après La Ciotat en 2009, c’est à Ortaffa, dans les Pyrénées-Orientales, que l’Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis – l’ANPNPA – a tenu son assemblée générale, le samedi 25 septembre 2010.
Le bilan de l’année écoulée par son président a été l’occasion pour l’association de prendre position sur la création du Centre de documentation des Français d’Algérie qui vient d’être votée par le conseil municipal de Perpignan et de manifester son approbation de l’opération de débaptisation d’un rond-point à Aix-en-Provence. Après avoir réélu Jacques Pradel à sa présidence, l’association a diffusé le communiqué suivant :
La valise ou le cercueil est le titre du film documentaire de Charly Cassan qui, selon la présentation qu’il en donne, « retrace la vie et le lâche assassinat du peuple pied noir et harkis par la République gaulliste dirigée par De Gaulle. C’est aussi toute l’histoire authentique de cette belle province française durant 132 ans... [7] »
En revanche, Aïcha Kerfah, responsable de l’association Harkis et droits de l’Homme pour la région Languedoc-Roussillon, qui a assisté à sa projection en avant-première dimanche 26 février 2011 à Lattes, près de Montpellier, et dont nous reprenons les commentaires ci-dessous, semble y avoir vu une illustration des propos de Jean-Jacques Jordi [8] :
« Depuis quelques années, la communauté française d’Algérie tient à affirmer son identité propre face aux multiples identités locales, régionales, voire étrangères sur le territoire de la métropole. Cela n’est pas chose facile, tant les éléments fondateurs de l’identité “pied-noire” sont relativement récents, et tant y abondent des lieux communs parfois falsificateurs. »
Ce que l’on a coutume de désigner par l’expression “communauté pied-noir”, c’est-à-dire les rapatriés d’Algérie et leurs descendants, pèse 7,3 % de la population française inscrite sur les listes électorales, soit 3,2 millions d’électeurs potentiels à la prochaine élection présidentielle. Elle représente 13,7 % du corps électoral en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
L’étude récente du Centre de recherches politiques de Sciences Po reprise ci-dessous, évalue à 18 % ce qu’elle a donné à Jean-Marie Le Pen lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2007, soit 8 points de plus que sa moyenne nationale. Le Cevipof estime à 28 % en France, et 30 % en Paca, les intentions de vote communautaire pied-noir en faveur de Marine Le Pen, pour avril prochain. Ce qui montrerait que plus des deux tiers des Pieds-noirs dans notre région n’auraient pas l’intention de voter à l’extrême droite. Autre phénomène rassurant constaté par le Cevipof : la préférence électorale en faveur de l’extrême droite s’estomperait avec les générations, les descendants des rapatriés accordant à Marine Le Pen 4 points de moins que leurs parents.
Il y a encore du travail en Paca, comme le montre l’enquête de Jean-Baptiste Malet publiée dans l’édition de février 2012 du mensuel Le Ravi. Au lieu de reconnaître les crimes commis au nom de la France durant la période coloniale et de combattre les tentatives de les récuser, de nombreux élus dits « républicains », le plus souvent de droite mais pas seulement, continuent à flatter des groupuscules « nostalgériques », comme en témoignent les inaugurations et fleurissements chroniques de monuments à la gloire de l’OAS, l’organisation terroriste, ou des généraux putschistes. Cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, ils continuent de façon irresponsable à instrumentaliser l’histoire et à exploiter les blessures mémorielles à des fins politiques.
Pour l’historien Jean-Jacques Jordi, spécialiste des pieds-noirs, les rapatriés d’Algérie n’ont voté « comme un seul homme » que pour faire battre le général De Gaulle. Ils sont aujourd’hui répartis sur tout l’échiquier politique et leur poids électoral est limité. L’historien l’affirme : « Le vote pied-noir n’existe pas », mais les politiques le savent-ils ? On peut en douter si l’on en juge par les consultations qui se déroulent en haut de l’État.
Ces propos sont extraits d’entretiens avec Jean-Jacques Jordi [9]
rapportés par Pascal Charrier dans un dossier publié dans l’édition électronique du 2 mars 2012 du quotidien La Croix.
Le bras droit de Jean-François Copé dans son combat électoral pour la présidence de l’UMP a été Michèle Tabarot : pour elle « Jean-François [était] l’homme de la situation ».
Michèle Tabarot n’est pas – pas encore – célèbre, mais l’apparition au premier rang de la scène politique de celle qui continue à tourner la tête quand son regard croise un portrait du général de Gaulle [10], est un signe. Dans l’article ci-dessous, basé sur son ouvrage, Y’a bon les colonies ? La France sarkozyste face à l’histoire coloniale, à l’identité nationale et à l’immigration [11], l’historien Alain Ruscio voit dans cet événement le retour du “vieux parti de la réaction colonialiste”.
On peut craindre en effet que la “droite décomplexée” poursuive le lent travail de réhabilitation de l’“Algérie française” bien amorcé sous la présidence sarkozyste.
Un entretien avec Jacques Pradel, président de l’Association nationale des Pieds-Noirs progressistes et de leurs amis. [12]
Une association qui entend porter témoignage de ce que furent la colonisation, la guerre d’indépendance et les crimes commis durant 132 ans par la France en Algérie. Afin de contribuer à la connaissance d’un passé souvent méconnu – notamment des jeunes Français d’origine algérienne – et de lutter contre les préjugés qui continuent à entretenir le racisme.
Les pieds-noirs, comme la plupart des groupements humains, ne constituent pas une communauté homogène et il n’existe pas d’association qui puisse se targuer de les représenter tous. Une association s’est constituée en novembre 2008 pour rassembler les pieds-noirs de sensibilité “progressiste”. Nous leur donnons la parole ci-dessous afin de leur permettre d’exprimer leur motivation et leurs intentions. Pour les contacter, voir leur site internet http://www.anpnpa.org.
Il est établi que le « vote pied-noir » est un mythe, mais les politiques sont persuadés qu’il existe bien et ils essaient de capter cet électorat.
Difficile de mesurer l’importance de cette population dans l’ensemble de la population française. C’est ainsi qu’une étude publiée en 2012 par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) écrit que « la communauté pied-noir pèse 15,3% du corps électoral en Languedoc-Roussillon, 13,7% en Provence-Alpes-Côte d’Azur » [13]. Cette étude désigne par l’expression « communauté pied-noir » l’ensemble des Français « qui revendiquent une ascendance pied-noire (c’est-à-dire ayant au moins un parent ou un grand-parent pied-noir) » [14]. Une définition que l’on peut discuter.
Quoi qu’il en soit, les pieds-noirs constituent un groupe que l’on ne peut ignorer lors de l’élection qui s’annonce serrée entre la droite et le Front national.

enrôlés dans l’armée française,
annexé par les nostalgiques de la colonisation,
par Alain Ruscio
Le 5 décembre 2021, dans de nombreuses villes de France, les cérémonies officielles en hommage à la mémoire des soldats « morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie » se sont terminées comme à l’habitude par la reprise en chœur du fameux « Chant des Africains ». Alain Ruscio explique dans cet article pourquoi il s’agit d’une sorte de « larcin mémoriel » puisque ce chant dont la première version date de 1915 et qui était entonné par les « indigènes » de l’armée française est devenu durant la guerre d’Algérie un signe de ralliement des partisans de la colonisation. Et il le reste aujourd’hui pour les « nostalgériques ». Bien qu’il contienne les paroles, « lorsque finira la guerre, nous reviendrons dans nos gourbis », qui ne sont guère à la gloire du bilan de la colonisation…