L’exportation du modèle français de guerre anticoloniale
« Nous avons tout appris des Français », explique le général Harguindeguy.
Dans les années 60-70, Aussaresses et les spécialistes français de la guerre antisubversive instruisent les militaires américains et argentins. Quand ces derniers installent leur junte en 1976, ce sont les leçons françaises qu’ils appliquent.
Par Pierre Abramovici [1] - Le Point, 15 Juin 2001.
La torture a été une donnée quasi permanente des conflits du XXe siècle. En Irak, la nouveauté ce sont les photos et les images vidéo prises par les soldats américains pour casser les prisonniers. Le film vidéo sur la décapitation d’un otage américain montre que l’arme médiatique est utilisée par les deux camps
Une présentation de l’ouvrage de Marie-Monique Robin [2] suivie d’extraits du dernier chapitre du livre.
Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, on trouve sous la plume d’un officier français et dans la revue des élèves de l’École militaire de Saint-Cyr un plaidoyer en faveur de l’utilisation « dans certains cas » de la torture. Il rejoint directement les justifications développées aux États-Unis du système mis en place à Guantanamo et dans les centres d’« interrogatoires sévères » comme Abou Ghraib en Irak.
dossier entièrement refondu le 31 janvier 2007.]
Au nom de la « lutte contre le terrorisme », le président George W. Bush légalise le recours à des « interrogatoires violents » [3], après en avoir « délocalisé » l’utilisation [4].
Nous, Français, n’avons pas de leçon à donner, mais au moins pouvons-nous faire état de notre « expérience » passée dans ce domaine : rappeler l’échec auquel nous ont conduits les gouvernants qui avaient imaginé pouvoir défendre la République en utilisant des méthodes qui sont la négation de ses valeurs.
L’enquête de Marie-Monique Robin sur les origines du « Plan Condor » par lequel, dans les années 1970, les dictateurs d’Amérique du Sud ont coopéré pour assassiner leurs opposants, dépasse de loin l’histoire de ce continent. Son livre [5] et son film apportent aussi des éléments précis sur l’émergence au sein de l’armée française, à la fin de la guerre d’Indochine, d’une doctrine de guerre antisubversive impliquant notamment la torture, sur sa mise en pratique en Algérie et son exportation ensuite vers les Etats-Unis et l’Amérique du Sud.
Un entretien avec Marie-Monique Robin, journaliste et réalisatrice, publié dans Hommes & Libertés, revue de la LDH, N° 128, oct. nov. déc. 2004.
Dans les années 1970 et 1980, les dictatures militaires du Cône sud de l’Amérique latine ont férocement réprimé leurs opposants, utilisant à grande échelle les techniques de la « guerre sale » (rafles, torture, exécutions, escadrons de la mort…). C’est en enquêtant sur l’organisation transnationale dont s’étaient dotées ces dictatures — le fameux « Plan Condor » — que Marie-Monique Robin a découvert le rôle majeur joué secrètement par des militaires français dans la formation à ces méthodes de leurs homologues latino-américains. Dès la fin des années 1950, les méthodes de la « Bataille d’Alger » sont enseignées à l’École supérieure de guerre de Paris, puis en Argentine, où s’installe une « mission militaire permanente française » constituée d’anciens d’Algérie. De même, en 1960, des experts français en lutte antisubversive, dont le général Paul Aussaresses, formeront les officiers américains aux techniques de la « guerre moderne », qu’ils appliqueront au Sud-Viêtnam.
Il faut (re)lire cet ouvrage qui vient d’être réédité en collection de poche aux éditions La Découverte [6].
L’organisation Amnesty International se félicite de ces condamnations de 16 anciens responsables, dont l’ex-capitaine de la marine argentine Alfredo Astiz.
Ainsi que Marie-Monique Robin l’a montré, certaines des « méthodes » mises en pratique par les tortionnaires argentins leur avaient été enseignées par des militaires français qui avaient pu les expérimenter “sur le terrain” en Indochine et en Algérie – voir cette page.
En 2014, un pays sur deux pratique toujours la torture. Et les régimes autoritaires ne sont pas seuls en cause. Certains États démocratiques aussi.
Tous les jours, des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants parfois, sont livrés à l’omnipotence de bourreaux si souvent impunis. Tous les jours, les tortionnaires et ceux qui les dirigent s’efforcent de réduire au silence opposants, syndicalistes, journalistes ou avocats. Tous les jours, ils terrorisent les membres de minorités ethniques, religieuses ou sexuelles. Ils font avouer sous les coups des prisonniers de droit commun. Avant d’envoyer souffrir en détention ceux qui ne sont pas morts bastonnés, électrocutés ou asphyxiés.
Le rapport 2014 Un monde tortionnaire de l’ACAT – Action des chrétiens pour l’abolition de la torture – complète les rapports publiés les trois années précédentes : il illustre la réalité des pratiques tortionnaires dans 19 nouveaux pays, tout en poursuivant l’éclairage historique, politique, psychologique et culturel de ce phénomène. [7].
Nous reprenons ci-dessous la préface de ce rapport par Serge Portelli, magistrat et auteur de l’ouvrage Pourquoi la torture ?.
Plusieurs organisations, dont la LDH, lancent un appel pour que Mario Sandoval soit extradé vers l’Argentine pour y répondre de ses actes devant la justice argentine. Elles rappellent les propos de François Falletti, Procureur général de la Cour d’Appel de Paris qui avait déclaré en 2010 au terme du procès devant la Cour d’Assises de Paris d’anciens responsables de la dictature chilienne : « Lorsque le sentiment de surpuissance passe par la torture, la dégradation, la négation de l’existence, le message doit être clair. Cela doit donner lieu à des sanctions quel que soit le temps, quel que soit l’espace ».
La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants définit la torture comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne. »
Cette convention, adoptée par les Nations unies en 1984, est entrée en vigueur en juin 1987. A ce jour, 162 Etats l’ont ratifiée. Ils s’engagent ainsi à prendre des mesures concrètes afin d’empêcher la torture à l’intérieur de leurs frontières et à ne pas renvoyer une personne dans un Etat dans lequel il y a une grande possibilité qu’elle y soit torturée.
Ci-dessous un article de synthèse repris du communiqué « Convention contre la torture : 30 ans après, un triste bilan » établi par le centre Primo Lévi. [8].

La « doctrine de la guerre révolutionnaire » mise en œuvre par des officiers français pendant la « bataille d’Alger » a été largement exportée par la suite dans les dictatures militaires d’Amérique latine des années 1960 et 1970. Tout particulièrement auprès de la dictature argentine pour la guerre qu’elle a menée de 1976 à 1983 contre les groupes révolutionnaires et toute la population. Cet article relate le rôle méconnu joué par les romans du journaliste et ancien militaire Jean Lartéguy dans le « succès » de cette doctrine chez les militaires argentins.